Une monarchie encroûtée : les années Guizot (1840-1847)

Avec la chute du ministère Thiers revient sur le devant de la scène celui qui, depuis le début de cette série, apparaît ponctuellement et est un des hommes clés de cette période : François Guizot. S’il n’est chef du gouvernement en titre qu’à la toute fin du régime, dès 1840, c’est en effet lui qui est aux commandes, et sa philosophie politique incarne sans conteste l’esprit du régime. Aussi favorable aux affaires que réticent à la démocratie, le système Guizot suscite bien des frustrations et les oppositions politiques couvent. Faut-il y voir pour autant un système à bout de souffle ?

« Enrichissez-vous » : le système Guizot

Ces huit années de gouvernement Guizot impliquent évidemment de présenter un peu le personnage. Depuis le début de cette série, il revient ponctuellement, d’abord comme « doctrinaire » sous la Restauration, puis comme opposant principal à Charles X, avant de devenir l’un des grands tenants de la « Résistance ». Issu d’une famille protestante, fils d’un avocat mort pendant la Révolution pour ses affinités girondines, Guizot est avant tout un homme de lettres passionné par l’histoire (sa politique de préservation patrimoniale et archivistique en témoigne autant que sa carrière et sa production littéraire). L’homme est également honnête et, s’il est indéniablement riche, il se distingue par un réel désintérêt en politique : lui-même n’est clairement pas un corrompu… ce qui ne l’empêche pas de profiter de la faiblesse d’autrui. Son gouvernement fonctionne en effet beaucoup par l’attribution de places et la constitution d’un réseau de faveurs plus ou moins avouables.

Guizot est un conservateur au sens strict du terme : pour lui, le régime est à son point d’équilibre, et ne doit plus ni régresser ni évoluer. Avec le roi, dont il devient vite proche, il partage une ambition de stabilité, d’ordre et de prospérité : 1830 a, pour lui, accouché d’un régime idéal qu’il faut préserver, sans le réformer, ce qui risquerait de le déstabiliser. Sa philosophie politique est dominée par un idéal méritocratique : son célèbre « enrichissez-vous par le travail est par l’épargne » n’est pas un appel à la course au gain, mais bien plus une référence aux valeurs bourgeoises et, aussi, paysannes. Le placement, l’épargne, la propriété (et non la spéculation à outrance), l’entreprise productive, voilà ce qui sont les formes morales de l’enrichissement. Pour Guizot, ce « enrichissez-vous » se double donc de considérations morales, et d’une conséquence : c’est la richesse qui permet, par la taxe foncière ou la patente, de devenir électeur.

Portrait de Guizot, en habit noir et austère.
François Guizot est le personnage dominant de ces années 1840. Dans ce portrait se retrouve particulièrement son image sobre et austère.

De fait, cette promotion sociale existe effectivement : le nombre d’électeurs augmente presque de moitié sur la période, sans que le cens ait été modifié, ce qui est le signe qu’un nombre non négligeable d’individus se sont élevés. Mais le régime reste malgré tout profondément élitiste (l’électorat n’est pas un droit mais une fonction qui se mérite), et ne peut que garder cette forme d’entonnoir. Surtout, la philosophie du régime pose la question de la nouvelle place des élites traditionnelles, qui ne sont pas forcément enrichies : intellectuels, clergé, militaires. Si l’élection est une fonction demandant des compétences vérifiées, ceux-ci ne la méritent-ils pas, même s’ils ne paient pas assez d’impôts ? Sont créées, en ce sens, les « capacités », qui permettent par exemple aux membres de l’Institut de voter. Mais elles restent très limitées et beaucoup militent pour les voir élargies, par exemple aux membres de la garde nationale. Surtout, bien plus nombreux sont ceux qui peuvent participer à la vie politique à l’échelon local, contribuant peu à peu à la politisation des petits notables, et souvent au-delà. Le refus total d’élargir le suffrage ne peut, dans ces circonstances, rester bien satisfaisant.

Plus largement, la vie politique semble stagner autour d’un petit cercle, que ce soit au niveau des ministères, de la haute administration, ou même de l’électorat, qui reste finalement restreint. Bien plus que de la grande politique, on débat avant tout de questions fort bassement matérielles et gestionnaires, de rivalités personnelles ou locales, et on gère avant tout le pays pour le bénéfice des affaires de la classe dirigeante. Guizot lui-même en fait parfois les frais : si, par principe, il aspirerait à abolir l’esclavage, il ne peut pas imposer de tel projet face à la puissance du lobby colonial présent à la Chambre, et doit se limiter à des réformes bien moins ambitieuses. Les intérêts matériels restent, décidément, prépondérants.

 

Une politique extérieure modérée et confuse

La politique extérieure du régime, en particulier celle menée par Guizot, est source de bien des critiques. Le maître mot, depuis 1830, est la paix et, comme on l’a vu avec les crises de 1836 et 1840, Louis-Philippe fait tout pour rassurer les puissances étrangères en calmant systématiquement le jeu. Avec Guizot, cette politique est poussée aussi loin que possible, par un rapprochement avec toutes les puissances. Localement, il y a ainsi de multiples tentatives pour se rapprocher des voisins par le biais de tarifs douaniers, que Guizot négocie souvent avec difficulté, tant le courant protectionniste reste puissant en France. Surtout, il s’agit de donner à la France une place rassurante sur le terrain européen, en se rapprochant de l’Autriche et de l’Angleterre. Cette « première Entente cordiale » est facilitée par l’expérience de Guizot, qui a été ambassadeur à Londres, et sa bonne relation avec le premier ministre britannique, Lord Aberdeen. Il ne s’agit pas d’une alliance, qui pourrait présager de démarches offensives, mais bien d’une relation de confiance apaisée, qui se heurte parfois pourtant à des tensions sur le terrain colonial.

L’Algérie est évidemment le principal terrain colonial de la monarchie de Juillet, hérité des dernières semaines du règne de Charles X. Cet héritage n’a pas été simple à assumer : en 1830, Bourmont, qui avait dirigé l’expédition, avait été écarté car légitimiste. Par la suite, la conquête est assez chaotique, par des commandants souvent livrés à eux-mêmes puis écartés lorsque les choses tournent trop mal. La colonisation à proprement parler est peu à peu théorisée, avec ses contradictions, et les premiers colons sont principalement des étrangers pauvres peu aidés par la France. Certains « gros » parviennent pour leur part à s’y tailler de grands domaines. Les années Guizot voient un basculement : face au soulèvement mené par Abdelkader, le gouvernement mène une politique plus offensive, incarnée par le général Bugeaud, connu pour ses exactions nombreuses. Cette guerre particulièrement sale reste pour Louis-Philippe une occasion de couvrir ses fils de gloire dans les opérations, mais génère des tensions avec l’Angleterre (qui finit par la tolérer contre la garantie du statu quo au Maroc et en Tunisie) et est contesté de toutes parts à la Chambre. Bugeaud, critiqué jusque par ses subordonnés, finit par être écarté en 1847 au profit du duc d’Aumale. Plus largement, au-delà de la critique des violences, la Chambre dénonce aussi un projet paraissant aussi cher qu’inutile. Dès ses débuts, la colonisation a donc été loin de faire consensus…

Carte et timbre comémoratifs d'Abdelkader et Bugeaud, en Algérie, 1950.
Ce timbre commémoratif algérien de 1950 rend un hommage parallèle à Bugeaud et Abdelkader.

Plus largement, la France impose son influence à travers le globe, autour de possessions côtières en Afrique, dans l’Océan indien, et surtout dans le Pacifique. Elle se heurte ainsi en Polynésie à l’influence anglaise, ce qui aboutit notamment à une crise à Tahiti, que la France est en train d’ériger en protectorat dans les années 1840. George Pritchard, missionnaire britannique, est en effet expulsé par les Français pour avoir soulevé les habitants et, lorsqu’une crise diplomatique se développe, Louis-Philippe s’excuse et le fait indemniser, s’attirant cette fois-ci les foudres des patriotes français…

Au final, donc, la politique étrangère de la monarchie de Juillet durant les années Guizot se veut prudente, mais irrite tout le monde. Pour la gauche patriote, le chef du gouvernement est « Lord Guizot », soumis aux Anglais. Les protectionnistes, pour leur part, font obstacle aux projets libre-échangistes du ministre. La relation si critiquée avec les Britanniques finit, du reste, par prendre du plomb dans l’aile quand, en 1846, Guizot accélère un projet de mariage dynastique espagnol sur lequel l’Angleterre avait des vues. Jusque-là critiqué pour sa complaisance, il est désormais critiqué pour avoir été trop offensif ! Reste que Guizot reste alors dans l’opinion avant tout vu comme quelqu’un qui a souvent cédé face à l’étranger ; ce faisant, il a pourtant permis de casser l’isolement français en Europe et de montrer que la monarchie de Juillet n’était pas un régime à craindre. La position du pays en sort globalement renforcée.

 

Un échiquier politique éclaté

Dans ces années 1840-1848, la vie politique semble se figer, ce qui est le moment idéal pour évoquer les différentes forces s’affrontant. Il faut tout d’abord décomposer les différents groupes qui composent le gros du parlement en se retrouvant dans les différentes nuances de l’orléanisme. À droite, autour de Guizot, domine le « parti conservateur ». Le ministre aspirerait à créer en effet un parti « Tory » similaire à l’exemple anglais, bien que le légitimiste et les tensions religieuses fassent encore obstacle à son projet. À gauche, se retrouve d’autre part ce qu’on nomme « opposition dynastique », notamment menée par la figure d’Odilon Barrot. Ce sont des héritiers du Mouvement, aspirant à une diplomatie « nationale » plus offensive, un suffrage élargi à la petite bourgeoisie (mais en aucun cas universel), des réformes modérées et une méfiance vis-à-vis de l’Église. Depuis 1831, ils n’ont plus occupé le pouvoir. S’ils sont, aux yeux de Guizot, la principale opposition, ces députés n’ont en réalité pas un grand poids dans l’opinion au-delà des cercles du suffrage censitaire.

Portrait d'Odilon Barrot
Si Odilon Barrot est une des principales figures de l’opposition parlementaire à Louis-Philippe, son poids politique réel dans le pays est certainement moindre.

Deux autres forces orléanistes sont également représentées à la Chambre. Autour de la figure de Thiers subsiste le « centre-gauche » : plus conservateur que l’opposition dynastique, il se distingue des Guizotistes par la volonté de limiter le pouvoir royal, et par une politique étrangère plus offensive. Reste enfin à évoquer le « Tiers parti », notamment incarné par André Dupin : cette formation souple, que l’on pourrait apparenter à la « Plaine » révolutionnaire, soutient généralement le gouvernement, mais pas de façon systématique, ce qui lui permet d’assurer des renversements politiques. Durant la période 1840-1848, cependant, son rôle est plus limité, du fait de la domination de Guizot. Reste à noter que toutes ces formations orléanistes, bien que très différentes et adversaires sous la monarchie de Juillet, vont dès 1848 se retrouver unies à droite contre les idées républicaines. Du fait d’une rapide épuration des cadres (notamment Guizot, vite en retrait), c’est surtout la figure de Thiers qui émergera, désormais marquée à droite toute.

Restent enfin des forces qui s’opposent à la nature même du régime et sont, pour cela, marginalisées, bien qu’elles ne soient pas absentes du parlement. À droite, les légitimistes restent, dans les années 1840, particulièrement divisés, que ce soit sur les idées à défendre, ou sur la manière : faut-il, ou non, participer au jeu parlementaire ? Certains aspirent avant tout à camper des positions conservatrices, quitte à se rapprocher du gouvernement. D’autres, à l’inverse, sont prêts à se rapprocher de la gauche, par détestation de l’orléanisme. La cause du jeune « Henri V » n’en sort évidemment pas favorisée…

Les républicains, pour leur part, sont également criminalisés et doivent aussi composer avec un mouvement ouvrier qui les observe parfois avec distance. Cependant, le mouvement est de plus en plus présent, regroupé autour de journaux comme Le National et La Réforme, ou encore d’universitaires comme Michelet et Quinet, dont les cours sont particulièrement appréciés des étudiants républicains. Nombreux sont aussi à l’époque les travaux réfléchissant à la Révolution, qu’il s’agisse de Michelet, de Louis Blanc, ou encore de Lamartine, tous contribuant à réhabiliter à leur manière une période encore beaucoup brandie en épouvantail. Avec son Histoire des Girondins (qui crée, en réalité, le groupe à postériori), Lamartine propose ainsi une voie républicaine alternative à la « Terreur » tant crainte. De plus en plus, la République devient un mot qui ne fait plus aussi peur qu’avant…

 

Des années malgré tout dynamiques

Sur le plan politique, les évolutions légales pourraient donner à penser à un certain marasme politique. Comme on l’a vu, la Chambre débat avant tout de questions visant à défendre des intérêts locaux, ou liés à certains secteurs industriels, tout en essayant de créer le meilleur contexte économique pour la prospérité des affaires, qui est la principale garantie de survie du régime. Ce système fonctionne plutôt bien jusqu’au milieu de la décennie, l’économie paraissant prospère. Subsiste cependant un blocage irréconciliable entre le libéralisme absolu revendiqué par le régime, le protectionnisme des milieux industriels, et les revendications sociales des classes populaires.

Démographiquement, la France connaît aussi une accélération de l’exode rural, qui inquiète de plus en plus. C’est à cette période que le seuil de 25 % d’urbains est dépassé, mais le pays reste en net retard sur l’Angleterre, qui dépasse déjà les 50 %. La transition démographique se poursuit, et les populations adoptent des pratiques malthusiennes : devant la difficulté d’assurer la prospérité des familles nombreuses, le contrôle des naissances se généralise, sauf dans les familles les plus conservatrices et dans certaines régions reculées.

Plus largement, les campagnes se modernisent : une agriculture de plus en plus intensive se développe, qui tend également à se spécialiser vers des productions plus commerciales. L’intensification des échanges les place désormais à l’échelle nationale, permettant cette spécialisation. Revers de la médaille, cependant, certaines régions jouissant de conditions moins favorables se font distancer et sont durablement pénalisées. Les campagnes intéressent aussi l’État, qui veut y consolider son emprise. C’est à cette époque, en 1844, qu’est par exemple instauré le permis de chasse. Mais cette prise d’ampleur de l’État dans les campagnes ne va pas sans contestations, qui prennent souvent la forme de révoltes fiscales que l’on ne peut pas pour autant voir comme des contestations du régime en lui-même.

L’industrie également se modernise, les investissements et innovations se multipliant, comme on le verra dans le bilan de la période qui sera fait dans le dernier épisode de la série. Pour autant, il ne faut pas imaginer une France couverte d’usine : l’industrie repose alors encore majoritairement sur de petites structures, qui gardent encore souvent une articulation avec le milieu paysan. L’essor des transports favorise également un passage à l’échelle nationale des échanges, créant des perdants et des gagnants, notamment au jeu de la spécialisation. Les années 1840 voient de nombreux investissements (notamment étrangers) dans le chemin de fer, une « railway mania » qui a le pouvoir de créer l’essor de certaines villes (Tours, par exemple), quand d’autres y perdent. Ainsi, Orléans qui a préféré miser sur le transport fluvial finit par péricliter.

Dessin de la catastrophe ferroviaire de Meudon montrant un train explosant et des foules fuyant.
La catastrophe ferroviaire de Meudon, en 1842, marque les esprits et illustre le côté effrayant des nouveaux moyens de transport.

La décennie est aussi marquée par toute une vie militante et sociale, avec de nombreuses grèves. Parmi les plus notables, une grande grève multisectorielle touche Paris durant l’été 1840, et celle des charpentiers, en 1845, est également très saluée. Ces mouvements sont cependant rarement suivis d’effets. Les revendications sociales, qu’elles touchent les salaires ou le temps de travail, restent peu audibles de la classe politique, ce qui explique leur entrée brutale sur ce terrain en 1848. Reste qu’au-delà de la grève, le mouvement ouvrier s’organise aussi par le biais de sociétés de secours mutuel, qui posent les bases du futur syndicalisme et servent souvent de caisses de grève, ou encore par des journaux ouvriers, tels que L’Atelier, de Buchez. Dans la continuité de la décennie précédente, également, se multiplient les courants socialistes, dont on reparlera également dans le dernier épisode.

 

L’impossible réforme

Cette France dynamique reste donc dirigée par un régime de plus en plus encroûté, qui est secoué le 13 juillet 1842 par un drame. Ce jour-là, Ferdinand-Philippe, héritier du trône, meurt dans un accident de calèche. L’émotion qui traverse le pays est énorme et suscite de nombreuses démonstrations de deuil : le prince était particulièrement populaire, connu pour ses idées progressiste, et beaucoup attendaient sa prise de pouvoir pour sortir le pays de sa sclérose et entamer des réformes. Avec sa mort, la succession est désormais promise à son fils, Philippe, qui n’a alors que quatre ans. Plus encore, la loi votée dans la foulée du drame pour définir les conditions d’une éventuelle régence écarte de celle-ci la mère de l’enfant, la libérale duchesse d’Orléans, au profit du frère du défunt, le duc de Nemours, bien plus conservateur, voire aux sympathies légitimistes. Tout espoir d’une réforme prochaine du régime s’éteint, poussant rétrospectivement Charles de Rémusat à écrire que « sans ce jour fatal, [la monarchie] n’aurait point péri », tandis que pour Musset, « Une heure a détourné tout le siècle ».

Notre Dame emballée dans des tentures en hommage au prince mort.
Les funérailles du prince sont particulièrement suivies, comme en témoigne ce daguerréotype.

Or, plusieurs réformes sont attendues, dont deux points suscitent régulièrement des débats sur lesquels Guizot reste inflexible : l’éligibilité des fonctionnaires (« la réforme parlementaire ») et l’élargissement du suffrage (« réforme électorale »). Le premier point pose en effet le problème de l’indépendance des hauts-fonctionnaires, qui sont nombreux à occuper des mandats de députés tout en conservant leur fonction et leur traitement : de fait, ils n’ont donc pas de réelle indépendance vis-à-vis du pouvoir, qui, pour sa part, rejette tout projet de loi demandant l’interdiction de ce cumul. Pour ce qui est du suffrage, la question d’un élargissement est posée plusieurs fois. Celui-ci serait limité, l’opposition dynastique ne soutenant en aucun cas un suffrage universel, mais il s’agirait au moins d’attribuer le droit de vote à des « capacités », comme les gardes nationaux, ou à élargir le suffrage à ceux qui peuvent déjà voter localement, ou participer aux jurys criminels. Le problème est régulièrement soulevé par des pétitions et projets, mais Guizot reste inflexible : tout élargissement, même limité, serait déjà une pente glissante vers la fin du régime, à ses yeux.

Dans ce contexte, Guizot aurait aspiré à un grand parti conservateur défendant ses vues, mais il doit se heurter à la défiance des catholiques, incontournables à droite. Un courant de catholicisme social, mené notamment par Lamennais, dont on reparlera, existe en effet, mais est condamné par la Papauté. C’est surtout le groupe de catholiques dits « libéraux », menés par Montalembert, qui s’oppose fortement au gouvernement sur la question de l’enseignement : ils aspirent à combattre le monopole de l’Université sur l’enseignement secondaire, afin d’instaurer un enseignement « libre » religieux. Entre ces catholiques et une autre frange de droite au contraire hostile à ce contrôle religieux sur l’enseignement, Guizot et son gouvernement ne parviennent jamais à trancher le débat et n’arrivent vraiment à satisfaire aucun des camps.

Ainsi, c’est avant tout par ses discours que Guizot, brillant orateur, tient souvent sa courte majorité. Surtout, son gouvernement se repose beaucoup sur le clientélisme, expédient facile mais dangereux. Guizot lui-même ne se laisse pas acheter, mais son gouvernement achète et distribue faveurs, postes et cadeaux à tous les soutiens potentiels. Le « système Guizot » tient ainsi, par ces faveurs et par la bonne conjoncture économique : une crise pourrait vite le fragiliser. Attaqué sur la politique internationale et sur ses liens avec le roi, qui le soutient sur tous les plans, Guizot reste en apparence indéboulonnable. Indissociable du régime, il va en réalité l’emporter avec lui dans sa chute.

 

Pour aller plus loin

Comme pour l’épisode précédent, la bibliographie sur ces années Guizot reste limitée. M’ont servi ici les deux livres d’André Jardin et André-Jean Tudesq, La France des notables volumes 1 et 2 parus chez Seuil (1973), le tome Monarchies postrévolutionnaires de Bertrand Goujon (Seuil, 2012), La Révolution inachevée de Sylvie Aprile (Belin, 2009), La France du XIXe siècle de Francis Démier (Seuil, 2000), et le manuel La France au XIXe siècle de Dominique Barjot, Jean-Pierre Chaline et André Encrevé (PUF, 3e édition en 2014), ainsi que le petit livre d’Hervé Robert La monarchie de Juillet (CNRS éditions, 2017).

Plus spécifiquement sur le moment Guizot, Laurent Theis a publié un très bon François Guizot (Perrin, 2019), qui est une biographie atypique, s’attardant sur de multiples aspects du personnage : son engagement politique, son style (notamment analysé à travers la crise de la coalition anti-Molé), son rapport à l’histoire, ou encore ses engagements vis-à-vis du protestantisme. Un livre passionnant pour dépasser la simple et trop connue citation « enrichissez-vous », rarement bien contextualisée…

Un commentaire sur “Une monarchie encroûtée : les années Guizot (1840-1847)

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  1. Bonjour Histony,

    C’est mon cher et tendre qui m’a fait connaître ta chaîne et lorsque tes vidéos sont parues sous formes de podcast, je me suis enfin lancée dans cette grande aventure de la restauration ! Un grand merci et bravo pour ce travail. Je ne connaissais rien ou si peu de cette période et pourtant, elle est, pour moi cruciale tant elle est reliée à mon histoire personnelle. Je suis franco-algérienne (naturalisée française depuis peu) et je me suis toujours posée la question du début de la conquête d’alger. J’ai étudié en Algérie jusqu’au bac et, suivi une scolarité plus au moins algérienne jusqu’en 3e et la conquête d’Alger est « balayée » en deux lignes sur ce « fameux coup de l’éventail ». Notre « histoire » à nous va s’intéresser par la suite à la manière dont Abdelkader va résister aux français. Mais, je me suis toujours interrogée sur le contexte politique sur cette conquête et ce podcast- car je l’écoute en version audio- m’a fourni des premiers éléments de réponse que je voudrais creuser par ailleurs. Quoiqu’il en soit, je me rends compte de mon ignorance totale et de croyances totalement fausses que j’avais sur cette période (c’est la fameuse humilité d’une passionnée d’histoire), je n’avais rien compris aux jeux de pouvoir politiques, je ne savais pas ce qui différenciait un Louis 18 d’un Charles 10 d’un Louis Philippe. J’avais éludé la question en me disant que cette période était un retour en arrière – une monarchie- cqfd. J’avais totalement tort !

    Sur un tout autre registre – et n’ayant plus de compte YouTube – je voudrais aussi te remercier pour tes vidéos sur le Titanic. J’ai toujours considéré ce sujet comme passionnant (c’est évidemment dû au film de James Cameroun) et par la suite, j’ai eu l’occasion d’écouter quelques témoignages mais jamais je n’étais entrée autant dans le détail. Ta vidéo de plus d’une heure trente est foisonnante. J’ai d’ailleurs commandé ton dernier ouvrage sur le sujet et je prévois de lire ce livre cet été. Je finis ce long commentaire par approuver ce que tu dis sur le fait d’assumer ses passions sans en avoir honte. Cela peut paraître banal, mais adolescente, j’étais une passionnée de lecture et de littérature et aussi d’histoire sur la deuxième guerre mondiale (et depuis d’autres sujets s’y sont ajoutées), sauf qu’une jeune fille de la bourgoisie algéroise n’était pas censée passer autant de temps à lire et surtout pas à s’interroger sur le génocide juif sachant que j’ai vécu dans un milieu très porté sur les théories conspirationnistes et négationnistes. J’ai donc pendant longtemps caché ma passsion de lecture et d’histoire – car c’était « has been »- tandis que sortir avec des garçons ou parler de la dernière série à la mode était plus adaptée à une adolescente de mon âge. En écoutant ton dernier podcast sur la survie des juifs en France, j’ai décidé d’acheter et de lire d’abord l’état et les juifs de Laurent Joly et mille mercis pour cette référence. Là encore, j’ai dû revoir un certain nombre de « faits » auxquels je croyais.
    Je vais enfin conclure ce long commentaire, à très vite pour de nouvelles vidéos. Je me suis abonnée à la newsletter pour ne plus les rater.

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