La monarchie de Juillet est-elle née sur un malentendu ? La révolution de juillet 1830 a dans tous les cas accouché d’autant d’espoirs que de désillusions, et très vite, le tournant conservateur pris par le nouveau régime suscite des oppositions, parfois violentes. Qu’elles aient des causes sociales ou politiques, et souvent les deux, les émeutes se succèdent, et font face à un tournant autoritaire de plus en plus fort. Dans ses dix premières années, le régime se cherche et se construit…
Du juste milieu au coup de barre à droite
Les « Trois glorieuses » et le changement de roi ont suscité l’enthousiasme, mais aussi la défiance. À droite, si une majorité de légitimistes a choisi l’exil (à l’étranger ou dans ses châteaux) et la démission, nombre de prêtres sont très critiques du nouveau régime, qui le leur rend bien en revenant en bonne part sur la politique cléricale de Charles X. À gauche, les réseaux républicains restent sur leur faim, tandis que des mouvements sociaux éclatent du fait de la crise économique, et des suites de la révolution. Ainsi, une question agite tout l’automne 1830 et suscite des violences : le jugement de ministres de Charles X dont la foule demande la tête, et dont la condamnation à perpétuité ne suffit pas à calmer l’agitation.

Dans ce cadre, former un gouvernement d’union entre Mouvement et Résistance ne pouvait être que temporaire. En novembre, les figures conservatrices que sont Guizot et Molé, notamment, se retirent, laissant la place au cabinet de Jacques Laffitte, un banquier libéral inspiré par le Mouvement. Celui-ci espère, à terme, démocratiser le pays et gouverner avec sa gauche, et la composition de son gouvernement en témoigne. Pour Louis-Philippe, il s’agit à la fois de l’utiliser pour calmer la gauche, et de montrer que cette politique trop avancée est vouée à l’échec. De fait, ce gouvernement ne dure que quatre mois. Il n’a pas su mettre un terme à l’agitation, et s’est heurté à une Chambre nettement plus conservatrice que lui. Il se casse également les dents sur la question internationale : la gauche voudrait soutenir les mouvements émancipateurs en Belgique et en Pologne, mais la priorité du roi est au contraire d’apaiser les cours étrangères, qui craignent une instabilité française. De ce fait, la politique diplomatique française doit être pour le moins prudente et rassurante, ce qui déplait à la gauche. Finalement, Laffitte à beau lâcher du lest dans sa politique, se séparer par exemple de l’avocat Odilon Barrot, figure du Mouvement qu’il avait placé comme Préfet de la Seine, rien n’y fait. Coincé entre le roi et les aspirations populaires, Laffitte démissionne dès le 13 mars 1831. Le temps du Mouvement est révolu : cette frange de la gauche de l’orléanisme ne retrouvera plus le pouvoir jusqu’à la fin du régime…
Le pouvoir est alors pris par Casimir Périer, membre d’une grande dynastie bourgeoise vouée à un bel avenir. S’il est issu de l’opposition libérale à Charles X, il s’ancre pour sa part clairement du côté de la Résistance dont il se fait le champion. Sa gestion gouvernementale détonne : il assume un pouvoir total sur son cabinet et jouit également d’une certaine latitude vis-à-vis du roi. Toute sa politique est tournée vers l’idée de rétablissement de l’ordre, ce en quoi Louis-Philippe le suit totalement. Il s’oppose ainsi à tout interventionnisme de l’État, quand bien même la crise incite nombre de gens à demander la régulation des salaires. Face aux manifestations, il accentue la répression, autorisant même la troupe à tirer après trois sommations. Il réforme également la Garde nationale afin d’en faire une véritable milice bourgeoise : ne pourront y appartenir que ceux à même de payer leur équipement.
C’est aussi sous sa direction que le régime reçoit les bases de ses institutions. Sa loi municipale, notamment, élargit le suffrage à cet échelon en fonction de la taille des communautés, ce qui permet, dans les petites municipalités, de faire « descendre la politique vers les masses » selon le mot de l’historien Maurice Aguhlon. Ceci étant, dans les faits, les votes à cet échelon comme aux autres restent affaire collective, et on y fait pas tant de la politique que du réseautage dans un certain respect des hiérarchies traditionnelles. Le gouvernement Casimir Périer est également à l’origine d’un abaissement du cens de 300 à 200 francs, doublant l’électorat de la Chambre sans pour autant remettre en question le caractère élitiste du régime. Le seuil d’éligibilité passe lui aussi de 1 000 à 500 francs, ouvrant la porte de la Chambre aux professions libérales. Concrètement, les élections de 1831 se caractérisent par un parlement dominé par la Résistance, mais gardant une bonne représentation des forces de gauche orléaniste. Quant à la Chambre des Pairs, elle est aussi réformée, l’hérédité disparaissant, et son rôle s’atténue : les critiques n’y voient plus qu’une « chambre d’enregistrement ».

Par sa politique résolument tournée vers l’ordre et choisissant de s’éloigner de l’élan libéral des « Trois glorieuses », Casimir Périer a refermé la parenthèse révolutionnaire et posé les jalons du nouveau régime. On peut supposer qu’il aurait été appelé à y conserver un grand rôle, mais au printemps 1832, une terrible épidémie de choléra frappe la France, et atteint le président du Conseil, qui avait eu la mauvaise idée de se rendre au chevet de malades. Il meurt, encore titulaire du poste, en mai 1832. Sa politique va cependant être perpétuée dans les années qui suivent, d’abord par les cabinets des maréchaux Soult, Gérard, Maret et Mortier, puis, surtout, sous la domination des grandes figures que sont Broglie, Thiers, Molé et, finalement, Guizot.
De contestations en tournants répressifs
Il faut avant cela évoquer les nombreuses oppositions auxquelles fait face le régime dans ses premières années. Il doit ainsi s’armer face à des révoltes de nature socio-économique dont la plus célèbre est celle des canuts lyonnais, en 1831. Ces ouvriers qualifiés travaillent dans l’industrie textile, pour le compte de « marchands fabricants » qui leur fournissent la matière première, puis leur rachètent le produit fini afin de le commercialiser. On a là une situation qui, d’une certaine manière, se rapproche de « l’uberisation » que nous connaissons aujourd’hui : les canuts ne sont pas salariés, mais des sortes d’auto-entrepreneurs dont la situation dépend aussi du contexte économique. Or, la crise frappe alors, et les canuts lyonnais demandent la fixation d’un « tarif », sorte de prix minimum garanti pour leur travail, ce qui va totalement à l’encontre de la doctrine libérale du régime. S’il est audacieux et parvient même un temps à s’emparer de Lyon, le mouvement est très rapidement réprimé. L’épisode a cependant une grande conséquence à gauche : les différentes franges de l’opposition sur ce bord de l’échiquier finissent de prendre conscience du caractère crucial de la question sociale, même si toutes n’y apportent pas la même réponse…
D’autre part, les espoirs républicains ne sont pas totalement oubliés. Plusieurs soulèvements se produisent, dont celui, très célèbre, des 5 et 6 juin 1832, que Victor Hugo a immortalisé dans ses Misérables. Ce sont les funérailles du général Lamarque, héros de l’Empire à la grande popularité, et opposant au nouveau régime, qui mettent le feu aux poudres et dégénèrent en émeute. De nombreuses barricades sont érigées par ce mouvement majoritairement composé d’ouvriers et d’artisans, mais la riposte de la garde est rapide. L’événement fait vraisemblablement dans les 300 morts du côté des insurgés, et une cinquantaine chez la troupe. Contrairement à 1830, le mouvement n’a pas joui de soutien, comme en témoigne la grande faiblesse des réactions hors de Paris. À cette occasion, le gouvernement a un peu plus rompu avec le mouvement populaire, cassant l’image du « roi des barricades », mais cela favorise l’enracinement du régime qui devient gage de stabilité. En 1834, de nouvelles émeutes républicaines débouchent sur une nouvelle répression dans le sang, notamment le fameux « massacre de la rue Transnonain », durant lequel la troupe se livre à des atrocités à l’encontre des habitants d’un immeuble du simple fait qu’un coup de feu en aurait été tiré. Au-delà de la dénonciation de l’événement, 1834 confirme la répression du mouvement républicain qui en sort durablement assommé.

Du côté légitimiste, le parti est profondément divisé entre les « carlistes », considérant que l’abdication de Charles X en faveur de son petit-fils est nulle et non avenue, et les partisans du petit « Henri V », aspirant à une monarchie bourbonienne transformée. Ces derniers obtiennent dans un premier temps gain de cause, Charles X confiant la régence de son petit-fils à sa mère, la duchesse de Berry. En 1832, celle-ci s’illustre par un débarquement en Vendée, par lequel elle espère soulever la région contre Louis-Philippe. Son équipée rocambolesque tourne bien vite à la débandade, à la fuite, et elle est finalement arrêtée et emprisonnée. Son prestige est alors détruit lorsqu’il apparaît qu’elle est enceinte et accouche d’un enfant dont le père prête à douter. On apprend également que celle qui tenait son prestige de son veuvage du duc de Berry martyr s’était en fait secrètement remariée : son aura est alors détruite totalement, au point que Louis-Philippe peut la faire libérer tant elle est inoffensive. Charles X profite de l’occasion pour l’exclure de la famille, et reprendre le contrôle du parti légitimiste jusqu’à sa mort en 1836. Succède alors une nouvelle crise, entre les carlistes soutiens du supposé « Louis XIX », que beaucoup jugent falot et incompétent, et ceux qui réservent leurs espoirs à « Henri V » plus jeune et donc porteur d’espoir de refondation. Cette division qui marque un parti déjà marginalisé dure jusqu’à la mort du premier, en 1844, et explique probablement que, durant la monarchie de Juillet, le péril légitimiste ait, somme toute, été marginal. Se pose là un trait constant des monarchistes français depuis le XIXe siècle : leurs irréconciliables divisions dynastiques les ont durablement privés de tout retour au pouvoir.
On peut, enfin, passer rapidement sur le danger bonapartiste. Pour beaucoup, notamment dans les campagnes, la geste napoléonienne reste évocatrice et, avec le temps et l’effet de plus de dix années de réaction royaliste, le nom de Bonaparte finit par être assimilé à une mémoire plus ou moins républicaine. Sous la Restauration, on a même pu voir, après la mort de Napoléon, des rumeurs sur son potentiel retour ! Le début des années 1830 lève une hypothèque : le fils de l’Empereur, « l’Aiglon », meurt en 1832 à l’âge de 21 ans. L’arrivée au trône de « Napoléon II » est donc exclue. Un neveu devient cependant vite encombrant, Louis-Napoléon Bonaparte, qui tente plusieurs coups d’État contre le régime, est emprisonné au fort de Ham en 1840… pour mieux s’en échapper en 1846. S’il reste un aventurier que l’on moque parfois, le futur Napoléon III n’est pas surgi de nulle part en 1848, et préparait déjà sa légende sous Louis-Philippe.
Évoquons enfin un dernier point, les attentats : durant la première décennie de son règne, Louis-Philippe est victime de plusieurs tentatives d’assassinat qui choquent l’opinion. La plus célèbre est l’attentat de Fieschi, en juillet 1835, durant lequel une machine infernale fait une vingtaine de morts et de nombreux blessés sans parvenir à toucher sa cible. L’événement sert, de fait, la propagande royale : la popularité de Louis-Philippe est rehaussée par sa survie presque miraculeuse, tandis que le régime se durcit profondément, en réprimant notamment le républicanisme avec les fameuses « lois de septembre ». Face aux oppositions, la monarchie de Juillet opte donc systématiquement pour l’intransigeance.

Un régime libéral, mais pas trop
La monarchie de Juillet pourrait donc se résumer à une sorte de libéralisme conservateur. Le régime est, par nature, bien plus libéral que la Restauration, notamment sur le plan religieux et celui de la presse. On connaît les célèbres « poires » qui caricaturent le souverain et sont répandues au début de la période. Ceci étant, le rejet de toute forme de désordre pousse le régime à se durcir peu à peu, quitte à recourir aux vieux outils tant dénoncés : ainsi, à partir de 1835, il est interdit de contester la nature du régime, et donc de se revendiquer comme républicain.

Le régime se pense comme celui des classes moyennes, et a en conséquence très peur de l’agitation et de la remise en cause de la propriété, qui est un de ses fondements. À l’inverse, il vise à une prospérité économique dont on espère, un peu naïvement comme on le verra ultérieurement, qu’elle permettra de résoudre les problèmes sociaux. De ce point de vue, la question de l’éducation est cruciale : on constate en 1832 que la moitié des conscrits sont analphabètes, en particulier les ruraux. On voit notamment une célèbre partition entre une France du nord-est, plus éduquée, et celle qui, au sud de la ligne Saint-Malo Genève, souffre nettement de l’illettrisme. Or, l’économie nouvelle a besoin de gens éduqués, et les élites bourgeoises considèrent par ailleurs que l’éducation est nécessaire pour lutter contre le « paupérisme » et la « barbarie » des classes laborieuses. Dans ce contexte, la loi Guizot de 1833 force à la création d’une école d’instituteur par département, et d’une école primaire entretenue par chaque commune de plus de 500 habitants, pour les garçons. Bien avant les lois Ferry qui couronneront l’édifice, l’œuvre éducative du XIXe siècle est donc lancée. Elle reste cependant particulièrement tournée vers la morale et l’acquisition des connaissances fondamentales : la religion y garde une grande place, pas tant par dévotion que du fait de la croyance de Guizot dans sa nécessité pour la santé morale du pays. Bref, si l’école de Guizot alphabétise massivement, elle n’a aucune portée émancipatrice, bien au contraire !
Plus largement, la période est marquée par une certaine sensibilité paternaliste à l’égard des plus pauvres : si le régime ne remet pas en question les inégalités et le libéralisme économique, il aspire malgré tout à une certaine philanthropie. Pour résumer, donc, on se désole de la pauvreté sans accepter de voir qu’elle est conséquence d’un système, et on essaie de l’amender. L’éducation y joue ici un rôle évident, car on espère qu’elle permettra une élévation sociale des plus méritants. Mais cela passe aussi par la charité et la moralisation des populations, notamment sur les questions d’hygiène et de santé. Des enquêtes contribuent aussi à sensibiliser l’opinion à certains problèmes. Villermé dresse ainsi un « tableau » de l’industrie textile suffisamment effrayant pour que le gouvernement légifère sur la limitation du travail des enfants, mais l’application reste peu satisfaisante, faute d’inspecteurs. De même, l’aliéniste Esquirol dresse en 1838 une loi sur les hôpitaux psychiatriques qui est restée en vigueur jusqu’en 1990 : bien que très problématiques selon nos critères actuels, elle témoignait à l’époque d’une volonté d’amélioration du traitement des « aliénés ». Ce genre de réflexion se retrouve dans la question des prisons, qui sont réformées, ou encore de la justice, avec par exemple la fin de certaines peines infamantes ou encore un meilleur traitement des bagnards.
Plus largement, le régime encourage les évolutions économiques et sociales, sans pour autant passer certaines limites : le divorce n’est ainsi pas rétabli, malgré les demandes, et toutes les tentatives de remise en question de l’esclavage, même partielle ou progressive, sont repoussées. Il s’interdit également de contrevenir au libéralisme, sauf sur le plan extérieur, où le protectionnisme domine. En revanche, le ministère des Travaux publics investit massivement dans de grands projets d’infrastructure, afin de doper l’économie du pays, comme on le verra dans le dernier épisode de cette série. On peut en somme résumer la philosophie du régime par l’idée que la société évoluera naturellement dans un sens positif si on lui offre un bon cadre pour cela.
Stabiliser l’orléanisme
À partir de 1835, et plus encore après 1840, le régime se stabilise donc tout en prenant un tour autoritaire. Pour Louis-Philippe, un enjeu est central : affirmer sa légitimité. En effet, les légitimistes peuvent, encore aujourd’hui, considérer que son accession au trône était illégale : il reste le « roi des barricades », porté par un mouvement populaire. Or, à l’inverse, le régime fait tout désormais pour se détacher de cet héritage révolutionnaire : s’il est « roi des Français » et tient son pouvoir de ces derniers, Louis-Philippe ne compte pas pour autant être une baudruche facilement éliminable. C’est là le principal problème du nouveau roi : une légitimité apportée par « le peuple » peut potentiellement être reprise, et il s’agit donc maintenant d’ancrer la dynastie des Orléans.
Tout le problème du rôle du roi dans les nouvelles institutions se pose d’ailleurs, car si la Charte a été amendée, elle garde certaines des ambiguïtés du régime de 1814. Le roi reste l’incarnation de l’exécutif, qu’il partage avec son gouvernement, et du législatif, qu’il partage avec les chambres. Mais quel rôle doit-il vraiment tenir ? Les plus libéraux espéraient une monarchie constitutionnelle à l’anglaise, où le souverain aurait un rôle avant tout symbolique. L’opposition de gauche reprend ainsi aisément la formule d’Adolphe Thiers selon lequel « Le roi règne mais ne gouverne pas », et devrait donc se soumettre à ses ministres, eux-mêmes issus du parlement. À l’inverse, la droite, autour notamment de Guizot, considère que « le trône n’est pas une chaise vide », et que le pouvoir du roi est effectif et réel. En conséquence, la personnalité du principal intéressé est décisive, et Louis-Philippe se révèle être un roi qui ne renie en rien l’héritage familial : comme ses prédécesseurs, il entend, selon ses propres mots, « conduire le fiacre ». Cette personnalité autoritaire va évidemment avoir un grand impact sur la conduite du régime.
Sa légitimité n’étant pas évidente, c’est par l’appel au passé que Louis-Philippe va tenter de la construire, beaucoup aidé en cela par l’historien Guizot. Après la fracture révolutionnaire et impériale, il est temps de réconcilier les « deux France », et cela passe par la création d’une histoire commune, principe qui sera ensuite repris par la Troisième République. Ernest Lavisse n’a rien inventé ! En 1837, le château de Versailles est ainsi réhabilité en musée dédié « À toutes les gloires de la France » (la devise est encore inscrite sur les frontons de l’aile Gabriel et du pavillon Dufour). Dans l’aile Nord, plusieurs salles sont ainsi consacrées à l’histoire des croisades, tandis que dans l’aile du Midi, la « Galerie des batailles » immortalise par de nombreux tableaux les grandes batailles qui ont fait la France, de Clovis à Napoléon, forgeant une iconographie qui sera reprise dans de nombreux manuels scolaires. Victor Hugo résume ainsi la chose en disant que Louis-Philippe a donné au livre de l’histoire de France sa plus belle reliure !

Ainsi, Louis-Philippe revendique à la fois l’héritage des rois, et celui de la Révolution. N’a-t-il pas, lui-même, combattu à Valmy et Jemappes ? Mais il y a aussi l’Empire, dont le régime reprend également l’héritage, d’autant plus facilement que la disparition du potentiel « Napoléon II » semble écarter le danger bonapartiste. L’Arc de Triomphe est ainsi achevé, tandis que les cendres de Napoléon reviennent en France en grande pompe. Paradoxalement, cette œuvre historique est peut-être l’une des plus durables de la monarchie de Juillet, ceci d’autant plus que, comme on le verra dans le prochain épisode, l’histoire reste aussi chez ses opposants un grand moyen d’expression.
L’apprentissage du parlementarisme
Ces premières années du régime sont le cadre d’un véritable apprentissage du parlementarisme. Le système électoral favorise cependant les querelles individuelles au détriment de la politique : quand un député n’est élu que par quelques centaines de personnes, les élections deviennent avant tout une conquête de réseau, plutôt qu’un débat politique. Il n’y a donc ni partis ni programmes, juste de grandes tendances au sein desquelles les députés gardent une très grande liberté. Le parlement est donc très volatile, et connaît un certain âge d’or de l’éloquence, de grands discours pouvant facilement modifier les rapports de pouvoir.
De ce fait, les dix premières années du régime sont marquées par une nette instabilité gouvernementale : certains cabinets ne tiennent que quelques semaines, et tombent généralement sur des questions toutes secondaires, avant de donner lieu à des replâtrages. À l’inverse, les ministres qui les composent changent peu. Les noms de Thiers, Broglie, et surtout Guizot sont omniprésents dans ces combinaisons. Le roi lui-même joue de cette instabilité : il suscite les rivalités au sein de la « Résistance » afin de conserver son pouvoir en divisant pour mieux régner, littéralement.
Ainsi, lorsqu’en 1836, Thiers est appelé à la tête du gouvernement, une brouille s’ensuit avec Guizot, plus conservateur, à la grande satisfaction du roi qui souhaitait casser le « triumvirat » formé par ceux-ci avec Broglie. Finalement, au bout de quelques mois, ce premier ministère Thiers tombe sur une question de politique étrangère : le ministre aurait souhaité intervenir en Espagne pour y soutenir un mouvement libéral, le roi s’y refuse. Louis-Philippe fait alors appel à un de ses fidèles, Molé, pour raffermir son pouvoir, et profite en 1837 d’élections favorables. S’ensuit un épisode de crise assez symbolique de la période.
En effet, se forme bien vite une « coalition anti-Molé » assez contre-nature. On y retrouve la « gauche dynastique », héritière du mouvement, derrière Odilon Barrot, le « centre-gauche » de Thiers, souhaitant réduire le pouvoir royal, et, tout à l’opposé, Guizot, venu de la droite, tout à fait opposé aux valeurs portées par ses nouveaux alliés, mais décidé à attaquer Molé par rivalité personnelle. La crise débouche sur l’éviction de Molé, de nouvelles élections et une instabilité gouvernementale, mais, surtout, elle montre bien à quel point rivalités personnelles se mêlent à la haute politique. Guizot s’y fait d’ailleurs taper sur les doigts par la droite : ne s’allie-t-il pas cyniquement au parti du « désordre » ?

Début 1840, Thiers est finalement rappelé au pouvoir et se compose un cabinet de bric et de broc. Sur fond de crise, il est confronté à des demandes de réforme électorale qu’il ne veut pas engager, rejetant lui-aussi le suffrage universel. C’est sur la politique extérieure qu’il se tourne donc, en décidant de soutenir le pacha d’Égypte dans sa lutte contre l’Empire ottoman, soutenu par l’Angleterre. On est alors dans une période de grand débat vis-à-vis de celle-ci, en France : faut-il s’en rapprocher, ou au contraire l’affronter ? Thiers semble prêt à la guerre, au point de faire fortifier Paris. Comme dans l’affaire espagnole, le roi le désavoue. Somme toute, la tentative de Thiers de se tenir au centre, tendant plus vers le parlementarisme que la droite, sans pour autant accepter une véritable démocratie, n’a pas fonctionné. En octobre, le roi fait désormais appel à Guizot : si le nouveau ministère est en effet dirigé par Soult, c’est en réalité son ministre des affaires étrangères qui tient le pouvoir : il y restera jusqu’en 1848. La monarchie de Juillet est désormais stabilisée… peut-être trop.
Pour aller plus loin
Tandis que la Restauration fait l’objet d’une importante bibliographie, la monarchie de Juillet est moins aimée. Je reprends donc, en guise de bibliographie, les ouvrages cités précédemment : les deux livres d’André Jardin et André-Jean Tudesq, La France des notables volumes 1 et 2 parus chez Seuil (1973), le tome Monarchies postrévolutionnaires de Bertrand Goujon (Seuil, 2012), La Révolution inachevée de Sylvie Aprile (Belin, 2009) et La France du XIXe siècle de Francis Démier (Seuil, 2000).
J’y ajoute un volume précieux, bien connu des étudiants, le manuel La France au XIXe siècle de Dominique Barjot, Jean-Pierre Chaline et André Encrevé (PUF, 3e édition en 2014), ainsi que le petit livre d’Hervé Robert La monarchie de Juillet (CNRS éditions, 2017).
Youtube censure ta video mon ami !
Peut-etre devrait tu commencer a envisager de poster sur Youtube et une option alternative…
En tout cas merci pour le super boulot que tu produis depuis maintenant un bon moment 😉
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En effet, YouTube a fait n’importe quoi aujourd’hui… Mais les vidéos sont déjà disponibles sur Skeptikon : https://skeptikon.fr/w/3dW8q1KHg59RFPW4GeVncf
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Cool merci mais c’est super chiant de pas pouvoir regarder sur YouTube.
Force à toi
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