Une période mal aimée ?

C’est curieux comme, en France, les Républiques paires n’ont pas la cote ! La Deuxième est irrémédiablement liée à Bonaparte et à l’Empire, la Quatrième est fatalement associée à la guerre d’Algérie et à l’image d’un régime impuissant forgée par le général De Gaulle pour justifier son propre régime ; quant à la Sixième, nombreux sont ceux qui en parlent, mais elle se fait toujours attendre…

Dans cette série, nous allons donc revenir sur ce diptyque « Deuxième République – Second Empire » souvent laissé de côté, comme la période précédente, au profit de la Troisième République, dont notre culture politique tire bien plus de références. Longtemps, pourtant, cette période de 1848 à 1870 avait laissé un héritage : la peur de l’homme providentiel et du césarisme. Depuis, la Cinquième République est passée par là et, loin d’être le repoussoir qu’elle était alors, l’élection présidentielle au suffrage universel est devenu notre seul véritable horizon politique. Pourtant, l’ombre de Napoléon III resurgit parfois : sous l’ère Sarkozy, un amusant faussaire s’était ainsi amusé à pasticher le Napoléon le Petit de Victor Hugo pour étriller le « président people » à talonnettes. Le Second Empire n’est donc peut-être pas si oublié que ça…

Une période formatrice

Le fait est que parler de cette période à une époque où l’Assemblée nationale, pourtant sans majorité présidentielle, est régulièrement piétinée par l’exécutif, et où les discours et les actes gouvernementaux se font de plus en plus autoritaires et embrassent une rhétorique volontairement réactionnaire, nataliste et chauviniste, ce n’est pas anodin. Il est certain que cette série n’aurait pas la même saveur si je l’écrivais en vivant sous une république parlementaire, que l’on parle d’une hypothétique VIe, ou d’une IVe qui aurait survécu à ses déboires. L’idée du césarisme aurait alors été évoquée comme un danger écarté de longue date, là où, aujourd’hui, certains soutiens du président vont jusqu’à évoquer à demi-mots l’espoir d’un (illégal) troisième mandat, comme Bonaparte en espérait un impossible second en son temps. Face à de telles similitudes, il faut se prémunir de la tentation du décalque et, plus encore, de la recherche dans le passé de solutions pour l’avenir.

Tableau d'Horace Vernet représentant la barricade de la rue Soufflot, un drapeau rouge au vent.
La Deuxième République ne peut être réduite aux barricades de février et juin, puis à l’élection de décembre 1848…

Il va donc nous falloir redonner de la nuance et du détail à cette période souvent simplifiée en une révolution bien vite balayée par la montée en puissance de Bonaparte, puis d’un régime autoritaire à son tour effacé par une humiliante défaite. En effet, la Deuxième République ne s’arrête ni avec les journées de juin 1848, qui voient le régime réprimer le mouvement ouvrier dans le sang, ni avec l’élection de décembre qui voit Bonaparte arriver à la présidence. L’Empire n’est pas, alors, une chose acquise, et les années qui suivent restent celle d’un apprivoisement de la forme républicaine.

L’Empire lui-même porte une plus grande complexité que dix-huit années d’un régime autoritaire. Si les élections sont marquées par les candidatures officielles et donc sérieusement tenues en main, elles n’en donnent pas moins naissance à une culture de l’expression populaire par le vote, et une opposition existe et grandit, alors que le régime se libéralise par petites touches. Les républicains n’attendent pas la capture de Napoléon III à Sedan pour exprimer des idées radicales !

 

Légende noire, légende dorée

En matière d’historiographie, le déséquilibre reste souvent grand. Prenons la Nouvelle histoire de la France contemporaine éditée chez Seuil dans les années 1970 à 1990. La Deuxième République a son tome, par Maurice Agulhon ; le Second Empire a le sien, par Alain Plessis, qui englobe également la Commune. Le second couvrant donc 19 ans, est pourtant un peu plus court que le premier, qui n’en couvre que quatre ! Le tome de l’Histoire de la France contemporaine publié par Quentin Deluermoz en 2012, Le Crépuscule des révolutions, sur la période 1848-1871 est déjà plus équilibré, consacrant les cent premières pages à la République, pour en consacrer ensuite deux-cents à l’Empire, et une soixantaine à la suite. Au vu de la durée respective des périodes, cela reste manifestement déséquilibré.

Cela s’explique simplement, en réalité : la vie politique et l’enchaînement des événements sont bien plus intenses sous la République que sous l’Empire, un déséquilibre que l’on retrouve dans la période 1789-1815. Encore l’Empire de Napoléon Ier a-t-il l’histoire militaire pour compenser : les campagnes face à l’Europe coalisée ont de quoi remplir des volumes ! Napoléon III n’a pas de quoi rivaliser : si les Français savent qu’Austerlitz et Waterloo sont plus que des gares, Sébastopol reste un boulevard, et Solférino le siège d’un parti en perdition.

Couverture, sous forme de gravure, de Napoléon le Petit, figurant l'empereur devant des silhouettes couvertes de blanc, un aigle à ses pieds.
Les écrits d’Hugo et Zola sur le Second Empire ont profondément forgé notre vision de la période : il nous faudra donc savoir les dépasser.

D’autre part, le Second Empire est mal aimé : « Napoléon le Petit » n’a pas le lustre de son oncle, et pâtit de l’image que lui ont donnée plusieurs grands noms de la littérature française, à commencer par Hugo et Zola. Dans ce contexte, beaucoup de livres consacrés à ce régime prennent, pour compenser, la forme de plaidoyer, ce qui n’est pas pour le servir, car ils perdent ainsi une part de l’objectivité que les lecteurs peuvent en attendre. Reste que la période est plus riche qu’on le croit, et mérite qu’on s’y penche, pour les changements sociaux, politiques, économiques et diplomatiques qu’elle accompagne.

 

Cadre de la série

Je dois l’avouer, j’allais initialement avoir les mêmes failles que d’autres, et cette série était au départ pensée comme un tremplin vers la période qui m’intéresse vraiment : la Troisième République. Ne vous inquiétez pas, on y viendra ! Deux épisodes pour boucler la Deuxième République, un pour l’Empire, tout cela suffirait bien ! Et puis, en préparant mon plan, j’ai commencé à trouver des pistes, des angles, et je me prépare désormais à évoquer cette période en 10 épisodes, celui-ci non compris. Trois seront plus thématiques et exploreront certains aspects de la période de façon générale, les autres suivront une approche chronologique, nous amenant de la proclamation de la République en février 1848 à la chute de l’Empire en 1870. Et la Commune, diront ceux qui l’attendent depuis longtemps ? Elle aura sa place dans la série suivante, sur les débuts de la Troisième République.

Côté bibliographie, je ne pourrai en fournir une complète qu’une fois la série terminée : je lis toujours beaucoup en cours de préparation. En attendant, je ne peux donc donner que du généraliste : les livres d’Agulhon, Plessis et Deluermoz cités plus haut, d’une part, mais aussi La Révolution inachevée de Sylvie Aprile (Belin, 2009), La France du XIXe siècle de Francis Démier (Seuil, 2000) et La France au XIXe siècle de Dominique Barjot, Jean-Pierre Chaline et André Encrevé (PUF, 2014).

Un commentaire sur “Une période mal aimée ?

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  1. Série à venir passionnante, à n’en pas douter.

    J’ai récemment lu Histoire du Second Empire, par Gérard Unger : puis-je me permettre de vous demander votre avis sur l’ouvrage, si vous le connaissez? Ayant toujours eu en tête une très mauvaise image de la période et du personnage de Napoléon III (de par ma mère qui l’a toujours « haï » en tant que fossoyeur de la seconde république), j’ai du mal à juger si l’on est dans l’hagiographie ou si c’était moi qui avait une idée caricaturale de la période.

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