On l’aura compris avec l’étude de l’œuvre de l’Assemblée constituante, avant même la mise en application de la Constitution, l’équilibre entre le souverain, les députés et la population était précaire, et ceci d’autant plus que les motifs de discorde étaient nombreux. Après l’analyse thématique du dernier épisode, retrouvons donc une approche plus chronologique et strictement politique – quitte à faire l’impasse pour l’instant sur d’autres dynamiques qui se lancent en parallèle – pour comprendre comment est survenue la chute de la monarchie, que peu, au départ, avaient envisagée.
La fuite de Louis XVI et ses conséquences
Louis XVI n’a jamais vraiment accepté la Révolution. Depuis le printemps 1789 et les coups d’éclat du Tiers État, il a toujours cherché à temporiser, n’acceptant les compromis que lorsqu’il ne lui était laissé aucun choix. C’est, en outre, un roi de plus en plus ennuyé par son impuissance forcée : déplacé de Versailles à Paris, il est à la merci de la population parisienne, ce qu’il a bien constaté lorsqu’une foule l’a empêché de communier à Pâques avec un prêtre réfractaire. Une partie de son entourage, notamment son frère, le comte d’Artois, a déjà quitté le pays. Au mois de juin 1791, c’est au tour du comte de Provence. Les princes et nobles émigrés font ainsi tout leur possible pour lever les souverains étrangers contre la Révolution. Dans la nuit du 20 au 21 juin, c’est donc au tour du roi de fuir pour tenter de lever des forces afin de reprendre la situation en main. Le roi que l’on a à tort présenté comme « celui qui ne voulait pas régner » réaffirme ainsi sa fidélité à l’absolutisme.

Or, Louis XVI est arrêté à Varennes. Inutile de nous attarder sur les péripéties de cette fuite, l’essentiel est ailleurs car, définitivement, la duplicité du Roi apparaît. Avant de partir, celui-ci avait laissé une lettre aux Français, dans laquelle il condamnait radicalement le plus gros de la Révolution. La fidélité de ses sujets, espérait-il, serait ravivée par cette proclamation… qui ne fut pas publiée. Se pose donc ce problème : que faire du Roi ? L’évincer ? Mais pour mettre qui à la place ? Son fils est bien jeune, et il serait idiot de faire assurer la régence par le roi déchu. La branche des Orléans, plus libérale, en séduit certains. Mais, à gauche, on commence à parler de République. Certains y sont attachés de longue date ; ils sont peu nombreux (Desmoulins, Condorcet…). D’autres, comme Danton, s’y rallient ; certains, comme Robespierre, prônent la prudence par crainte d’un coup fourré. Enfin, à droite du club des Jacobins, d’autres, comme Barnave, sont radicalement opposés à la fin de la monarchie : la république serait la voie ouverte à la loi agraire, au partage des propriétés, chose que personne dans la classe politique (pas même les plus radicaux) ne réclame alors.
C’est ainsi que le club des Jacobins explose : l’aile droite, favorable au roi, devient le club des Feuillants, autour de personnalités comme La Fayette, Barnave, Duport et Lameth, que l’on a déjà évoqués précédemment. Les Jacobins deviennent ainsi le lieu de contestation de la monarchie, le roi étant observé avec force suspicion. D’autres vont plus loin, notamment au club plus populaire des Cordeliers. Ceux-ci demandent la déchéance immédiate du souverain. Le 15 juillet, veille de la partition du club des Jacobins, les Cordeliers ont réuni 6000 signatures en faveur de la République. Le 17, une foule hétéroclite : homme, femmes et enfants, plusieurs milliers, se réunissent sur le champ de Mars pour demander la fin de la monarchie. Deux hommes sont surpris sous une estrade ; on craint qu’ils ne tentent de poser une bombe, eux disent s’être cachés pour observer les jambes des femmes. Dans le doute, par crainte d’un complot, ils sont tués sur le champ par la foule ; le prétexte est trouvé pour que La Fayette et Bailly, maire de Paris, fassent intervenir la garde nationale. On a beaucoup débattu sur le nombre de morts : 50 ? 100 ? Plus ? Dans tous les cas, La Fayette y perd son aura et sa popularité ; et la Garde nationale s’y divise. Une partie, celle des quartiers aisés, a participé sans hésiter à la répression. Elle incarne cette bourgeoise qui, avec les Feuillants, veut considérer la Révolution comme terminée.

C’est elle, pour l’instant, qui a gagné : après une période de suspension de ses pouvoirs, le souverain est confirmé. Se crée la fiction de son enlèvement, au lieu de sa fuite, pour sauver son image, ce qui fonctionne un temps. Pour leur part, les républicains déclarés sont traqués et se font discrets. La Constituante est sur le point de se séparer, et c’est autour d’un projet monarchique qu’elle va le faire.
L’avènement de l’Assemblée législative
Les nouvelles institutions entrent en effet en application le 1er octobre. Avant de se séparer, la Constituante a voté, sur proposition de Robespierre, une mesure étonnante : les députés acceptent de ne pas se présenter aux élections de l’Assemblée législative. Question d’éthique ? Robespierre, en tout cas, clame que l’on devrait pouvoir trouver dans le pays des députés aussi compétents que ceux qui se séparent. Mais sa proposition n’est pas sans arrières pensées, car elle permet d’éliminer du corps législatif tous les leaders adverses, à commencer par le triumvirat Duport-Barnave-Lameth ou encore La Fayette, ce qui assure que les Feuillants n’auront pas leurs plus charismatiques leaders pour députés. Mais l’arme est à double tranchant car, de fait, ceux-ci peuvent se réjouir d’être débarrassés de Robespierre, devenu l’une des figures de proue de la gauche, mais aussi de Pétion, qui jouit d’une grande popularité.

La classe politique en est-elle radicalement renouvelée ? Il faut nuancer : bien des grands noms de la Constituante, à commencer par Robespierre, continuent à discourir dans les clubs, à écrire dans leurs journaux, à se réunir dans des salons et, de fait, à influencer la vie politique. Il n’en reste pas moins que l’Assemblée législative est composée d’hommes « nouveaux ». Quels sont-ils ? Généralement des gens jeunes (30/40 ans en moyenne), qui se sont illustrés dans la vie politique locale. Difficile de distinguer, comme aujourd’hui, des groupes politiques bien définis, mais, à droite, environ 250 sont Feuillants, et ne parviennent pas à trouver de chef charismatique. À la gauche, 130 députés environ sont de tendance jacobine. On y retrouve de futurs montagnards, comme le juriste Couthon et le militaire Carnot, mais le groupe le plus nombreux est réuni autour de Brissot. Ces « Brissotins » sont ceux que nous appelons désormais Girondins. Il ne faut cependant pas anticiper sur la lutte qui divisera la Convention : au début de la Législative, cette gauche est globalement unie par ses doutes vis-à-vis du souverain. Même économiquement, la ligne n’est pas si claire qu’on le voudrait entre Girondins libéraux et extrême-gauche partageuse. Elle ne le sera jamais. Brissot lui-même, ainsi que Condorcet, sont ainsi de fervents dénonciateurs de l’esclavage et, dans sa jeunesse, Brissot a écrit un traité remettant en cause la propriété privée, traité probablement inspirateur au siècle suivant de Proudhon. Parmi les Brissotins, on retrouve également Roland, dont l’épouse Manon tient un salon influent où se réunit le groupe. Mais la législative n’est pas une simple opposition binaire entre Brissotins pourfendeurs de la Contre-révolution et Feuillants décidés à clore la Révolution et ramener l’ordre : au centre, une large majorité d’environ 350 députés ne prennent pas parti, et votent d’un côté ou de l’autre selon les circonstances.
La vie politique s’étend cependant bien au-delà de l’assemblée, dans les clubs et les journaux. Avec son Ami du peuple, Marat est particulièrement apprécié. Visionnaire, il a pressenti dès 1789 que les citoyens passifs risquaient d’être les perdants de la Révolution ; il a anticipé la trahison de Mirabeau et la fuite du Roi. Robespierre, Danton, Desmoulins, sont également alors des figures extrêmement populaires, et donc terriblement dénoncées dans la presse de droite : c’est à cette époque que naissent les premiers clichés sur un Robespierre froid, vicieux et mystique, pour contrebalancer sa grande popularité, notamment au club des Jacobins.
Hors de Paris aussi, la politique s’exprime par d’autres chemins. On participe bien entendu aux assemblées et clubs locaux, mais on s’insurge, aussi, contre les droits féodaux qui ont été maintenus, ou encore pour limiter le prix du pain, quitte, parfois, à faire couler le sang. La mort dans ces émeutes du maire Simoneau d’Étampes, qui avait voulu assurer la libre circulation d’un convoi de grain, est vue par l’assemblée comme un drame. Les Feuillants sont unanimes à demander un retour à l’ordre ; les Jacobins plus divisés, entre défenseurs de la libre circulation des biens, et adeptes d’une limitation du droit de propriété dans certains cas extrême. Cette dernière position est notamment celle de Pétion et de Robespierre, qui ne remettent cependant à aucun moment en cause la propriété elle-même. Par ailleurs, notamment en province, la Contre-révolution ne faiblit pas ; on s’arme parfois pour défendre un prêtre réfractaire ; des princes émigrés mettent en place des armées. En réponse, la Législative cherche à voter des lois, pénalisant notamment les émigrés. À la consternation des Feuillants, Louis XVI y oppose son veto. La situation s’envenime donc, tant les oppositions à la Révolution, à l’intérieur comme à l’extérieur, peuvent la faire tomber.
La guerre : question sensible
On simplifie souvent trop la question des raisons de la guerre. La version la plus cocardière veut y voir une simple et légitime défense du pays et de la Révolution ; d’autres, Guillemin en tête, considèrent au contraire que ce n’est là qu’une sombre opération visant à piller les pays voisins et profiter du conflit extérieur pour calmer l’intérieur. Ces deux visions sont néanmoins simplistes, bien que chacune contienne du vrai. La Révolution est, sans aucun doute possible, menacée : la Prusse et l’Autriche ont en effet fait savoir leur désapprobation et, on sait en France que par le passé, des Révolutions ont pu être écrasées par la force par les puissances étrangères, notamment aux Pays-Bas. Plus encore, la duplicité du Roi, l’origine autrichienne de son épouse, et les manigances des nobles et princes émigrés ne peuvent qu’accroître cette tension. En France, donc, beaucoup savent que la guerre est probable, et peut-être souhaitable. Si le risque est perçu, est-il réel ? Léopold II d’Autriche manifeste un certain désir de paix, tentant mollement de calmer les émigrés pour donner des gages à la France : ses yeux sont tournés vers la Pologne. Ceci étant dit, considérer comme faible le risque d’une attaque étrangère contre la Révolution reste un constat facile, deux siècles après les événements.
En France, en tout cas, beaucoup veulent la guerre, pour des raisons différentes. La Cour, tout d’abord : pour Louis XVI, persuadé que l’armée française ne pourra pas tenir et est trop désorganisée, ce sera un moyen de réduire à néant les Jacobins et sans-culottes et de retrouver son pouvoir. Les Brissotins ont le raisonnement inverse, et avec eux bien des révolutionnaires radicaux : la guerre forcera en effet Louis XVI de révéler sa véritable nature en choisissant ouvertement son camp. La suite des événements leur donnera raison en la matière et c’est bien cette raison-là, plus que les profits de guerre, qui motive alors leurs intentions. S’ajoute également la volonté plus large d’exporter la Révolution, en particulier chez des peuples soumis aux empires, notamment en Belgique. Ce serait faire d’une pierre deux coups en affaiblissant des ennemis tout en créant un glacis protecteur autour du pays. Restent, enfin les Feuillants : à part les Fayettistes, qui espèrent que leur leader sortira renforcé d’un conflit dont il serait le héros, ils sont sceptiques. Une guerre ne risquerait-elle pas de mettre en péril les acquis de la Révolution qui leur conviennent, en renforçant soit le Roi, soit les Brissotins ?

Les Feuillants ne sont pas les seuls à voir la guerre avec suspicion. À l’extrême droite, certains comme Royou dans son Ami du Roi, préviennent de ce que risque la France dans la défaite : être dépecée. Il n’a pas totalement tort : l’Alsace et la Lorraine, notamment, sont des terres d’Empire que l’Empereur pourrait vouloir extraire de l’orbite française. Mais l’opposant le plus vif à la guerre est Robespierre, qui énonce notamment dans son discours sur les « missionnaires armés » l’idée qu’on ne peut pas émanciper un peuple contre son bon vouloir. Robespierre n’a rien contre le principe de la guerre libératrice, si elle a pour but d’aider un peuple déjà insurgé, ce qui n’est pas le cas ici. Surtout, le tribun craint le double jeu du Roi et anticipe les profits que Louis XVI pourrait tirer du conflit. De même, il craint de voir un La Fayette auréolé de gloire au combat et revenir tout puissant à Paris : pour Robespierre, nourri d’histoire romaine, les généraux avides de pouvoir sont un danger constant. À lui aussi, l’avenir ne donnera pas tort. Le débat entre Robespierre et Brissot enflamme le club des Jacobins et crée une division durable : sur cette question commencent à se partager les deux camps qui formeront, quelques mois plus tard, Gironde et Montagne.
Reste l’élément décisif : la mort de Léopold II vient en effet bousculer l’équilibre européen, son fils François II étant bien plus belliqueux et relançant une alliance avec la Prusse ayant pour but de rétablir en France l’Ancien régime si une guerre venait à éclater. En France, Louis XVI choisit pour sa part de pratiquer la politique du pire en renvoyant en mars son ministre de la Guerre feuillant, Narbonne, et en nommant quelques jours plus tard un ministère brissotin. Les deux camps ont donc la guerre en perspective, ne reste plus qu’à voir celui qui le déclenchera. Fin mars, la France envoie un ultimatum à François II, l’obligeant à disperser des rassemblements d’émigrés. L’ultimatum étant rejeté, l’Assemblée législative vote la guerre à une grande majorité. Le 20 avril 1792, la guerre est déclarée et la population française s’y plie sans grande surprise, tant le conflit était anticipé depuis plus d’un an.
La France en guerre… et en difficultés
Le conflit débute de façon désastreuse, mais on aurait tort de croire que c’était inévitable. La France disposait d’un avantage : elle pouvait lancer une offensive puissante sur les troupes autrichiennes peu nombreuses stationnées en Belgique et, ainsi, désorganiser l’ennemi. Trois colonnes devaient parcourir la région et atteindre les points stratégiques. Mais l’échec est total : l’armée est divisée, sa hiérarchie est pour bonne part noble et peu favorable à la Révolution. Autant dire que l’ardeur n’est pas au rendez-vous. La trahison, si : la reine fait parvenir les plans de bataille à l’ennemi. La peur de la trahison est partout : parce qu’il a évité le contact de son armée avec l’ennemi, le général Théobald Dillon est massacré par ses troupes le 29 avril. Bref, la guerre est mal engagée.
Le gouvernement girondin tente de mener une politique de guerre en prenant des mesures d’exception, fin mai : il fait voter plusieurs décrets, permettant la déportation des prêtres réfractaires suspectés de trahisons, faisant appeler à Paris 20 000 gardes nationaux de province, et dissoudre la garde personnelle du roi, jugée peu fiable. Ces décrets sont censés renforcer la France face à ses ennemis, mais Louis XVI y oppose son veto. Comme l’espéraient les Girondins, la guerre l’a forcé à jouer franc-jeu, et le ministre Roland proteste. Lui et le reste du ministère girondin sont renvoyés et remplacés par un ministère feuillant, à l’exception du ministre de la Guerre, Dumouriez, de sympathie girondine. Le roi semble montrer ainsi qu’il fait obstruction à la bonne marche de la guerre.

D’autres ont bien saisi leur intérêt dans cette période de chaos : La Fayette, envoie ainsi une lettre à l’Assemblée dénonçant l’indiscipline générale et menaçant directement les Jacobins, jugés responsables. Les craintes de césarisme de sa part en sortent donc renforcées. C’est dans ce contexte que, le 20 juin, les Tuileries sont envahies une première fois par la population parisienne. Celle-ci parvient à faire porter à Louis XVI le bonnet phrygien, à le faire boire à la santé de la nation, mais pas à remettre en question son veto. Pendant ce temps, les Girondins tentent de mettre en place une politique d’ « Union sacrée » avant l’heure, qui se solde certes par une réussite à l’Assemblée, avec un rapprochement des Feuillants, mais qui contribue à les couper des sans-culottes.
Enfin, courant juillet, la Patrie est déclarée « en danger », ce qui conduit à une importante levée de 85 000 volontaires environ. Or, lorsqu’elles arrivent à Paris, ces troupes fédérées posent elles aussi la question de la déchéance du roi, et apportent même à l’Assemblée une pétition demandant sa suspension. L’idée circule donc dans les esprits. Enfin, à la fin du mois, un dernier élément met le feu aux poudres : le manifeste de Brunswick texte d’une grande violence rédigé par des princes émigrés mais signé du chef de l’armée de Prusse, menace les Parisiens de violentes représailles si le roi devait être mis en danger. Tragique erreur que ce manifeste : loin de calmer les foules, il leur prouve en réalité que l’ennemi combat pour le Roi, que celui-ci est donc contre la patrie ! Plus encore, les journaux royalistes se réjouissent et appellent à se préparer à une vengeance dont l’heure aurait enfin sonnée. Dans Paris commence donc à circuler la crainte d’une « Saint-Barthélemy des Patriotes » : l’heure est venue de passer à l’action.
Août 1792 : la chute de Louis XVI
C’est donc dans ce contexte que survient, le 10 août 1792, la prise des Tuileries. L’action n’est pas improvisée : depuis plusieurs jours, le nouveau maire de Paris, Pétion, a demandé à l’Assemblée législative la déchéance du Roi, au nom de 47 des 48 sections de la ville de Paris. Un bras de fer entre ces deux pouvoirs élus s’engage donc. Face aux réticences de l’Assemblée, les sections annoncent leur volonté de passer à l’action. Reste à déterminer les forces disponibles, qui sont mal connues sur le moment. Le Roi dispose d’environ 3 000 hommes, principalement des gardes Suisses, et serait bien incapable de tenter une sortie en force ou d’autres actions sans aide extérieure. Mais cela, les sans-culottes l’ignorent. À l’inverse, que fera la Garde nationale ? On l’a vu, selon les lieux, elle est divisée : dans certains quartiers riches, elle semble acquise au souverain ; dans d’autres, au mouvement populaire. Tout l’enjeu est donc de savoir comment la canaliser.
On ne reviendra pas ici, par manque de temps, sur le détail des événements du 10 août. Un aspect intéressant, cependant : les grands leaders d’opinion de la future montagne, Danton, Marat et Robespierre, n’y jouent aucun rôle direct, même s’ils ont contribué par leurs discours passés à la remise en question de la monarchie. L’insurrection est avant tout le fait de sans-culottes et de soldats, et fait de nombreuses victimes des deux côtés. Mais ce sont surtout ses conséquences, qui importent. En début d’après-midi, le 10 août, une Assemblée législative vidée de la plupart de ses députés ordonne la suspension et l’emprisonnement de Louis XVI, et convoque une Convention qui devra être élue au suffrage universel. Le lendemain, elle élit un nouveau Conseil exécutif chargé de remplacer le roi et ses ministres. On y retrouve le Girondin Roland à l’Intérieur, mais la grande figure est surtout Danton : orateur très populaire des Cordeliers, il devient ministre de la Justice, les Girondins espérant en faire un intermédiaire entre l’exécutif et la Commune insurrectionnelle de Paris. Mauvais choix de leur part, car Danton, soutenu par la Commune, fait souvent barrage à leurs initiatives, comme lorsque Roland et ses amis envisagent un temps de déplacer le gouvernement hors de Paris.

Celle-ci, en effet, forte de son action le 10 août, ne compte pas disparaître de la scène politique et se fait la représentante des idées et demandes des sans-culottes parisiens. Durant tout le mois d’août, elle lutte contre l’Assemblée pour obtenir le procès rapide du Roi et de ses défenseurs, et la Législative, plus modérée et discréditée par son inaction face au souverain, doit souvent céder du terrain. Restent deux chantiers : la création d’un nouveau régime, et surtout la guerre, qui n’est pas terminée…
La panique : les massacres de septembre et Valmy
Non seulement la guerre n’est pas terminée, mais les choses empirent. D’une part, la nouvelle de la suspension de Louis XVI n’est pas bien reçue partout ! En Vendée, en Bretagne, dans le Dauphiné, des insurrections surviennent, souvent menées par des nobles. Et l’armée de Brunswick progresse : le 30 août, Verdun, vu comme le dernier verrou sur la route de Paris, tombe. Or, le chef de l’armée ennemie l’a dit : il laissera ses troupes exprimer leur fureur dans les places fortes qui auront résisté à ses assauts. Et ses troupes comportent aussi des émigrés, avides de vengeance. Dans la France de 1792, où les rumeurs vont vite, les craintes de complot gonflent. Les prisons parisiennes sont pleines, de criminels de droit commun, mais aussi de suspects, notamment de prêtres réfractaires. Comploteraient-ils avec l’ennemi ? Marat appelle à l’accélération de la justice ; or, l’Assemblée fait traîner les procédures. Pour Marat, les choses sont donc claires : c’est une justice populaire qui doit s’exprimer, faute de violence légale. C’est ce qui donne lieu aux violents massacres de septembre, du 2 au 6 septembre environ à Paris ; suivis d’événements similaires mais de moindre ampleur en province.

Qui sont les « septembriseurs » ? Loin d’être des marginaux, ce sont des petits patrons, des artisans, des gendarmes ; qui procèdent de façon organisée en réunissant des commissions improvisées chargées de juger les prisonniers. Environ la moitié (1300) sont exécutés, signe que les massacres ne se font pas à l’aveugle, mais selon certains critères. Fatalement, les réactions sont mitigées : pour beaucoup à Paris, ces massacres ont été nécessaires, mais difficiles à cautionner. Le gouvernement est notamment resté passif, ce qui vaudra de fortes accusations envers Danton, notamment venues de sa droite. Mais celui-ci, au contraire, a bien saisi le problème et s’est ensuite battu pour la mise en place d’un tribunal révolutionnaire qui punisse les coupables de façon terrible « pour éviter au peuple de l’être ». Dans tous les cas, si par la suite, les Girondins se montrent très violents à l’égard de Marat, Danton et des massacreurs, ils n’ont, sur le moment, rien fait pour empêcher les événements qui, amplifiés, choquent et effraient beaucoup en province, comme on le verra ultérieurement.
Reste enfin à évoquer la célèbre bataille de Valmy, le 20 septembre, qui mit un coup d’arrêt à l’avancée de Brunswick. Bataille aussitôt dénoncée comme une manœuvre de la franc-maçonnerie par les royalistes, incapables de supporter qu’une armée sans roi ait pu gagner une bataille. Simple canonnade, simulacre de bataille, Valmy ? En réalité, les travaux détaillés de Jean-Paul Bertaud sur les témoignages d’époque montrent que ce fut alors le plus gros échange de tirs d’artillerie connu jusqu’alors ; précurseur d’une nouvelle façon de faire la guerre. Plus encore, à l’armée professionnelle française s’ajoutait une armée de volontaires, dont on craignait qu’ils n’affrontent pas le combat et se débandent. C’est dans ce contexte qu’il faut voir l’histoire du général Kellerman et de son cri « Vive la nation » repris par les troupes : il s’agit ici surtout de soldats volontaires qui, contrairement aux craintes initiales, ont tenu leur poste, comme le feront bien d’autres après eux. Face à cette armée, en position avantageuse, supérieure en nombre, et dont le moral ne fléchit pas, il est logique que Brunswick, à la tête de troupes malades, fatiguées et risquant d’être coupées de leur ravitaillement, ait choisi la retraite. Aurait-il gagné à Valmy (en perdant dans l’assaut beaucoup d’hommes) qu’il aurait eu bien du mal à poursuivre sa campagne. Pas besoin de complot, donc, pour expliquer ce qui était une décision stratégique logique. Dans l’immédiat, la France gagnait un sursis, mais pas encore la guerre.

Les débuts de la Convention : que faire du roi ?
Le lendemain de Valmy, le 21 septembre 1792, commença à siéger la Convention, élue dans le contexte troublé des massacres de septembre. Élue au suffrage universel, la Convention ne fait pas l’unanimité pour autant : on dénombre 80% d’abstention (en partie expliquée par la guerre, mais aussi par l’incertitude de l’avenir politique du pays). Beaucoup de députés ont fait leurs premières armes à la Constituante et à la Législative ; d’autres dans la presse et les clubs. Ce sont en tout cas des gens connus, et très peu viennent du petit peuple. Impossible, également, de dégager des partis précis ; tout au plus peut-on distinguer les groupes très informels et fluctuants de la Gironde, la Montagne et la Plaine. Les Girondins, nous les avons déjà vus autour de Brissot et Rolland notamment. On les associe souvent au grand négoce (et par extension au trafic d’esclaves) mais il les gros négociants et riches armateurs sont en réalité une minorité parmi eux ; le plus gros vient en fait de la bonne bourgeoisie. S’ils ne représentent qu’à peine 20% de la Convention (avec toutes les précautions qui doivent accompagner ces décomptes toujours imprécis), ils ont l’ascendant dans les premiers mois du nouveau régime, au point qu’on parle parfois de « convention girondine » même si l’expression est de plus en plus nuancée.
La Montagne, aux idées plus proches de celles des sans-culottes, n’est pas pour autant un groupe beaucoup plus populaire : on y retrouve certes plus de « petits », mais ce sont tout de même des journalistes, avocats, savants et petits entrepreneurs ; pas de précaires ouvriers. On y retrouve également des hommes d’affaires plus riches, ainsi que des nobles, comme Lepeletier de Saint-Fargeau. Ce qui sépare bien plus les deux groupes est donc leur électorat : la Gironde a été élue par des départements enrichis par le négoce (d’où son nom), tandis que la Montagne est majoritairement issue de Paris et de régions plus modestes peuplées de petits propriétaires luttant contre les droits féodaux. Les historiens ont cependant tendance à inciter à la prudence sur ce qui divise les deux camps, car les subtilités et les nuances viennent souvent remettre en cause les oppositions globales entre Girondins libéraux et Montagnards dirigistes, ou entre Girondins mesurés et Montagnards assoiffés de sang, ou encore entre Girondins décentralisateurs et Montagnards tournés vers Paris. Tous ces clivages sont souvent plus subtils et nuancés et, surtout, apparus au fil du temps. Il semble en revanche qu’au départ, le clivage se soit fait autour de la question de la guerre. Ces groupes ne sont donc pas uniformes. Plus encore, la majorité de la Convention est cette Plaine (ou ce Marais, selon qui en parle) dont les positions évoluent selon les votes et les sujets. Or, l’un des premiers grands débats est bien celui de la mise à mort du Roi.
Ce jugement du Roi est en effet un procès plus large : celui du 10 août, et donc du mouvement populaire. Condamner le Roi, c’est inévitablement raviver la Contre-révolution, mais aussi légitimer l’insurrection. Pour certains apparaît donc ainsi la crainte qu’en condamnant Louis XVI, on ouvre la voie aux revendications les plus radicales des sans-culottes, notamment les Enragés dont on reparlera. À l’inverse, ne pas juger le Roi, c’est considérer que le 10 août fut un attentat contre la patrie et son représentant. C’est délégitimer totalement l’insurrection. Finalement le procès a lieu, de décembre à janvier. La culpabilité de Louis XVI est reconnue par une écrasante majorité par la Convention ; mais c’est après que les Girondins commencent à manœuvrer, en demandant qu’il soit fait appel au peuple (donc aux assemblées de province) pour définir la peine à appliquer. Coup judicieux de leur part : la démocratie est ainsi invoquée, tout en sachant que la province aura un jugement moins radical que la population parisienne. Mais la majorité de la Convention s’oppose à cet appel. Le 16 janvier, chaque député est invité à se prononcer publiquement sur la peine qu’il a choisie : contrairement à la légende qui veut que la mort ait été décidée à une voix près, le nombre de voix en faveur de la mort est nettement plus large, bien que loin d’être unanime. Finalement, le 20 janvier, la Convention se prononce contre le sursis. Le même jour, Lepeletier de Saint-Fargeau, qui a voté la mort du Roi, est assassiné, signe des tensions entourant le débat.

Louis XVI est donc exécuté le 21 janvier, dans un cérémonial fortement étudié et représenté ensuite, tant par ceux qui se félicitent de cette mort que ceux qui s’en indignent. Cette mort, en tout cas, ne laisse pas indifférent : si Paris l’a voulue, elle n’est pas acceptée partout en province et nombreux sont ceux qui craignent une explosion des actes contre-révolutionnaires. Les Girondins sont, par ailleurs, en position délicate : en défendant le Roi, en attaquant ouvertement Danton et Robespierre dans le cadre de ces débats, ils se sont définitivement coupés des sans-culottes et passent pour alliés d’une aristocratie qui, par ailleurs, leur en veut terriblement. Le Roi est mort, donc, mais la Convention doit encore trouver comment, notamment vis-à-vis de la Province. Tous ces enjeux seront donc le sujet des épisodes à venir.
Quelques pistes bibliographiques :
Une plus large bibliographie accompagnera la fin de cette série sur la Révolution. Le livre de Michel Biard, Philippe Bourdin, et Silvia Marzagalli, Révolution, Consulat, Empire (1789-1815) chez Belin (2009) est une belle somme sur toute la période, illustrée, accompagnée de textes historiques et même d’une partie sur l’historiographie de la période. Le volume sur la Révolution est, qui plus est, très accessible.
Sur la période mentionnée dans cet épisode, La Chute de la Monarchie (1787-1792) de Michel Vovelle (Seuil, 1972, réédité en 1999) est une base qui revient sur les événements qui se sont enchaînés jusqu’au 10 août. Le deuxième volume de cette collection, La République jacobine par Roger Dupuy (2005), revient pour sa part sur les années suivantes. Pour un ouvrage plus synthétique, La Révolution française de Jean-Paul Bertaud (Perrin, 1989) reste également une très bonne initiation à la période.
Concernant cet épisode, deux ouvrages peuvent apporter un éclairage complémentaire. Sur la bataille de Valmy, Jean-Paul Bertaud s’est livré dans Valmy (Folio, 1970, réédité en 2013) à un passionnant recueil de témoignages d’époque qui ruinent totalement la thèse de la conspiration et de la fausse bataille. Concernant Danton et son rôle parfois ambigu, notamment dans la journée du 10 août, le récent Danton, le mythe et l’Histoire dirigé par Michel Biard et Hervé Leuwers (Armand Colin, 2016), contient de nombreuses contributions passionnantes.
Je suis arrivé sur votre chaîne en essayant de démêler les discours contradictoires sur les girondins entre Onfray (qui lors d’une reponse à une question sur Melenchon en fait un portrait dithyrambique) et la vidéo de Guillemin que j’avais revu peu de temps avant. Vous y repondez à peu près en indiquant l’hétérogénéité intra groupe et l’homogénéité inter groupe (origine sociale) focalisant leur différence sur leurs positions lors de la déclaration de guerre.
Pouvez-vous tout de même compléter par un avis sur cet axe qui a structuré deux siècles de débat sur l’administration française ? Doit-on rattacher l’opposition centralisation / autogestion à jacobins / girondins, ou est-ce exagéré historiquement?
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Sans que je puisse entrer dans le détail pour l’instant, c’est aussi une opposition qui est très critiquée par les historiens, car jugée un peu simpliste quand on examine dans le détail les positions de chacun. De façon générale, ce sont des groupes très hétéroclites et fluctuants.
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Toujours un plaisir de te lire; merci !
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Bonjour, tout d’abbord, merci pour votre travail; Pour l’instant un point m’intrigue, comment sait on que c’et la frange la plus fortunée de la garde national qui à tiré lors de la fusillade du champs de mars?
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