Pourquoi s’attarder sur le début du XIXe siècle ?

Cette nouvelle série va aborder une période souvent méconnue et mal aimée de l’histoire de France, celle qui a vu pendant une trentaine d’années le retour des rois sur le trône après la chute de Napoléon Ier. De 1814 à 1848, la monarchie a en effet tenté de revenir en force après ce que ses soutiens espéraient n’être qu’une parenthèse révolutionnaire. Complexe, ce retour s’acheva en 1848 par une nouvelle révolution avant qu’un nouveau cycle de République puis d’Empire vienne poursuivre la marche vers l’établissement du modèle républicain sur la durée. Fatalement, alors que nous vivons depuis un siècle et demi en République, si l’on excepte la parenthèse de Vichy, ces règnes de Louis XVIII, Charles X et Louis-Philippe peuvent paraître aussi vains qu’anachroniques. Les républicains pourront sans difficultés se moquer de cet ultime retour conclu par de cuisants échecs, tandis que les monarchistes peuvent parfois être tentés d’oublier cet essai qui ne put rétablir pleinement la monarchie d’antan. Pourtant, cette première moitié du XIXe siècle fut en bien des points cruciale pour donner forme à la France contemporaine. Industrialisation, apprentissage du parlementarisme, adaptation à l’héritage révolutionnaire, foisonnement des idées : ces trois décennies furent en réalité très riches sur de nombreux aspects.

 

 

Quelques repères

Mais de quoi va-t-on parler ici au juste ? La période qui sera l’objet de cette série est découpée en deux régimes politiques distincts, la Restauration (de 1814 à 1830) et la Monarchie de Juillet (de 1830 à 1848). Plus exactement, la Restauration est en réalité double puisque, à une Première Restauration (avril 1814-mars 1815) succède la parenthèse napoléonienne des Cent-Jours, puis la Seconde Restauration (juin 1815-juillet 1830). Ce sont également trois règnes qui sont au cœur de cette période : celui des jeunes frères de Louis XVI, Louis XVIII (1814-1824) puis Charles X (1824-1830),  puis celui de leur cousin de la branche des Orléans, Louis-Philippe. On ne saurait cependant limiter l’analyse de ces périodes aux têtes couronnées puisque, si chacun de ces souverains donna indubitablement une tonalité à la politique de ces années, ils furent également entourés de nombreux ministres, clans et partis. Ces alternances, changements de majorité, mouvements d’opposition et luttes politiques seront au cœur du récit.

Portrait pompier de Bonaparte franchissant le col du grand Saint Bernard
Pas de série sur l’Empire sur la chaîne (pour l’instant en tout cas…), mais il faudra quand même bien évoquer son cas ici, sans trop se laisser enfermer par la légende napoléonienne, noire ou dorée.

Et l’Empire dans tout ça ? Pour diverses raisons qui seront évoquées dans le premier épisode de cette série, je n’ai pas eu envie de le traiter pour l’instant : le sujet est complexe et historiographiquement trop clivé pour que je me sente actuellement à l’aise à l’aborder. Ceci étant, il est impossible d’évoquer la Restauration sans revenir synthétiquement sur les quinze années précédentes et le premier épisode fera donc un bilan sur cette période, en essayant de ne pas se focaliser sur la figure par trop encombrante de Napoléon.

Du point de vue spatial, la France de 1814 est très similaire à la nôtre. L’issue des guerres de la Révolution et de l’Empire lui a fait perdre le plus gros de ce qui restait de ses colonies, de même que la plupart des départements annexés durant les deux décennies précédentes. Si les traités de 1814 et 1815 ont amputé le pays de quelques territoires aujourd’hui bien français (Nice, la Savoie), la France de 1814 est géographiquement très proche de celle que nous connaissons. Cependant, cette série s’aventurera également bien loin des frontières, car la fin du règne de Charles X vit les débuts de la colonisation de l’Algérie. De plus, bien que cible d’une importante coalition en 1814 et 1815, le pays tenta par la suite de regagner une place sur la scène européenne et les enjeux extérieurs furent particulièrement importants à une époque où le continent évoluait profondément.

 

Comprendre un passé méconnu

La Restauration et la Monarchie de Juillet sont des périodes fondatrices pour notre monde politique. Dans son ouvrage fondateur sur les droites en France, René Rémond a par exemple bien montré comment les grandes familles de la droite du vingtième siècle avaient une nette filiation avec légitimistes, orléanistes et bonapartistes, courants nés au XIXe siècle. Pourtant, les pensées politiques dominantes à l’époque peuvent sembler très difficiles à bien appréhender, car, si cet univers ressemble au nôtre, il met également en scène des gens dont la vision du monde était très différente de celle d’aujourd’hui. La place importante de la religion, notamment, ne doit ni être sous-estimée, ni prise pour un alibi : tout autant (et parfois plus) que les questions d’argent, les problématiques religieuses ont eu un énorme rôle durant ces années.

De plus, il peut être tentant de faire des parallèles entre les forces politiques d’hier et celles d’aujourd’hui. Après tout, le régime à la fois très libéral économiquement et pourtant très conservateur dans ses institutions et son fonctionnement de la Monarchie de Juillet ne sont pas sans rappeler la France d’Emmanuel Macron. Le célèbre « Enrichissez-vous et vous deviendrez électeurs » que l’on prête à François Guizot est-il l’ancêtre du « La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler » ? La comparaison est tentante, mais un peu trop facile. De même qu’il est trop facilement fait des parallèles entre la Révolution et tout mouvement social un peu motivé, ces comparaisons ne sont pas le principal intérêt de l’étude de cette période.

En réalité, c’est en essayant de comprendre comment raisonnèrent les protagonistes de l’époque (que l’on soit ou non politiquement proche d’eux) que l’on peut espérer comprendre comment ils contribuèrent à forger le monde que nous avons reçu en héritage. C’est donc en suspendant son jugement qu’il est bénéfique d’aborder cette période, pour mieux le renforcer par la suite.

 

Quelles sources pour cette histoire ?

Comme la Révolution, la Restauration et la Monarchie de Juillet ont très tôt fait l’objet de nombreux écrits : l’essor de la presse a indéniablement joué un grand rôle dans cet afflux de sources. De même, nombreux sont les acteurs de la période qui ont rédigé leurs mémoires, ainsi que de nombreux essais. La production écrite et les archives sur la période sont donc légion. Cependant, comme la série sur la Révolution, cette série n’est pas un travail de recherche : elle se base sur les travaux d’historiens récents, et non sur les archives qui leur servent de sources. Dès cette introduction, il est donc important d’évoquer quelques ouvrages cruciaux pour bien comprendre cette période.

La Restauration et la Monarchie de Juillet ont souvent été traitées en bloc dans les collections d’histoire contemporaine. Longtemps, la référence était composée des deux tomes de La France des notables d’André Jardin et André-Jean Tudesq, parus en 1973 dans le cadre de la Nouvelle Histoire de la France contemporaine des éditions Seuil. Le premier tome est une synthèse chronologique et politique des années 1814-1848, tandis que le second à l’énorme intérêt de décrire géographiquement, économiquement et socialement une France encore diverse, région par région. Bien malheureusement, alors que la plupart des volumes de cette collection ont été réédités maintes fois, ceux de Jardin et Tudesq ne semblent pas l’avoir été depuis bientôt cinquante ans. Classiques des bibliothèques universitaires, ils se trouvent cependant pour pas trop cher en occasion. Plus récemment, c’est Bertrand Goujon qui a signé en 2012 Monarchies postrévolutionnaires, le deuxième tome de l’Histoire de la France contemporaine à nouveau publiée chez Seuil, et qui aborde la période à l’aide d’une historiographie mise à jour. Enfin, Sylvie Aprile a écrit le volume La révolution inachevée de l’Histoire de France de Belin, qui traite de la période 1814-1870, et évoque donc ces deux régimes avec nombre d’illustrations et de documents.

Couverture de Monarchies postrévolutionnaires (version poche) de Bertrand Goujon
Le livre de Bertrand Goujon offre certainement le meilleur compromis récent entre rigueur et accessibilité sur la période évoquée dans la série.

La Restauration a fait l’objet de nombreux ouvrages de qualité très variable, oscillant entre les travaux sérieux et les panégyriques des nostalgiques de la monarchie. La plus imposante synthèse est certainement celle de Francis Démier, La France de la Restauration publiée en 2012 chez Gallimard (un bon millier de pages !). Difficile, également, de passer à côté des nombreux ouvrages d’Emmanuel de Waresquiel sur la période et certains de ses acteurs. La Monarchie de Juillet est en revanche bien moins traitée, si l’on excepte les ouvrages sur l’entourage de Louis-Philippe. Plus gênant, la plupart des livres que l’on trouve aujourd’hui dans les rayons des librairies sur le sujet (quand on en trouve) sont soit des rééditions d’écrits très anciens, soit extrêmement partiaux (comme ceux de Gabriel de Broglie, issu d’une grande famille de l’orléanisme dont un membre fut ministre du régime). Les Que sais-je de Philippe Vigier puis d’Hervé Robert sur le sujet, bien qu’ils commencent à dater, restent cependant très accessibles.

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