La Bombe, d’Howard Zinn

Quand on me demande à quoi sert l’Histoire, je suis souvent bien embarrassé : je connais la théorie, cette discipline nous permet de réfléchir aux erreurs du passé, de ne pas les reproduire. Et, les exemples, même s’ils sont nombreux, peinent à me venir en tête pour bien étayer dans la pratique ce que je veux dire. Avec La Bombe, pourtant, Howard Zinn nous fournit un travail qui montre précisément comment on peut, effectivement, utiliser le passé pour réfléchir sur le présent.

Dans le cas de ce livre, il s’agit de se poser une question cruciale dans le cadre des guerres modernes qui s’enchaînent : les bombardements ont-ils une utilité ou sont-ils au contraire plus nocifs qu’avantageux ?

 

Howard Zinn, universitaire engagé

Comprendre La Bombe nécessite de savoir qui était Howard Zinn. Universitaire américain, il est surtout reconnu pour son travail sur les mouvements sociaux et mouvements pour les droits civiques, auxquels il a d’ailleurs participé. D’abord professeur au Spelman College d’Atlanta, il fut en effet renvoyé de celui-ci pour avoir défendu des étudiantes qui protestaient contre la ségrégation raciale pratiquée dans cette ville. Il est ensuite devenu professeur à l’université de Boston, où son cours sur les droits civiques est vite devenu l’un des plus populaires. Enfin, son Histoire populaire des États-Unis, ouvrage monumental, est un incontournable si on veut se faire une idée différente du « mythe américain » cher aux patriotes. Certains conservateurs ont d’ailleurs tenté de faire bannir des écoles cette histoire « salissante », mais ce livre reste un classique.

Howard Zinn donnant une conférence en 2004.
Howard Zinn donnant une conférence en 2004.

Zinn a en effet toujours revendiqué son engagement, et sa volonté de donner la parole aux acteurs rarement mentionnés : ses ouvrages regorgent donc de témoignages d’ouvriers engagés pour le droit du travail, de femmes et de noirs luttant pour les droits civiques, avant eux, même, des perdants de la Révolution américaine. Bref, Zinn propose de parler non pas de ce qui serait « caché », mais surtout de ce qui est juste ignoré au profit des grandes figures.

Surtout, Zinn est un pacifiste : cela ressort dans Une Histoire populaire des États-Unis, mais plus encore dans La Bombe, son tout dernier ouvrage. Né en 1922, Zinn, venant des classes populaires, s’était très tôt engagé contre le fascisme, et s’était donc porté volontaire pour partir faire la guerre en Europe contre l’Allemagne nazie. Dans ce cadre, il servit comme bombardier, et participa notamment à la campagne de bombardements de Royan en 1945. Il fit aussi partie, sur le moment, de ceux qui apprirent avec joie la nouvelle d’Hiroshima.

Néanmoins, après le conflit, Howard Zinn réfléchit et creusa la question des conséquences de ces bombardements. Dans La Bombe, il se focalise sur deux cas : le bombardement atomique d’Hiroshima, et celui de Royan auquel il a participé et qui vit la première expérimentation du napalm. Dans les deux cas, sa méthode est rodée : il nous force ainsi à voir les conséquences, à lire les témoignages de ceux qui étaient en dessous, à comprendre les dégâts physiques, psychologiques que causent réellement les bombardements. Nous sommes vite poussés bien loin des simples images de ruines, déjà parlantes, mais si peu humaines.

Aiko Ikemoto, 11 ans, se trouvait à 2 km du centre de l'explosion d'Hiroshima. Cette photographie, prise deux mois après le bombardement, illustre les drames humains qui se jouèrent ce 6 août.
Aiko Ikemoto, 11 ans, se trouvait à 2 km du centre de l’explosion d’Hiroshima. Cette photographie, prise deux mois après le bombardement, illustre les drames humains qui se jouèrent ce 6 août.

Bombarder ? Pourquoi, comment ?

Zinn réfléchit ensuite aux justifications de ces bombardements, et à ce qui les a rendus possibles. Étant lui-même bombardier expérimenté, il remet en doute très fortement la précision des frappes, et souligne qu’il est impossible, strictement impossible, de cibler un objectif précis à haute altitude, rendant inévitables les « dommages collatéraux ». Il souligne également le fait que le bombardement est une arme pratique : celui qui bombarde ne voit pas les dégâts qu’il cause, le bombardé ne sait pas à quel individu reprocher son malheur. Du reste, ce dernier point explique que les habitants des pays bombardés développent une haine globale d’un pays, voire de l’Occident tout entier, faute de réellement savoir à qui ils doivent leur souffrance. Des deux côtés, la guerre perd sa dimension humaine pour ne devenir plus qu’une suite de chiffres et d’objectifs à atteindre.

L’auteur revient aussi sur cette terrible dilution de la responsabilité. Le bombardier peut en effet rejeter la faute sur le donneur d’ordres, qui, souvent, a lui-même un ou plusieurs supérieurs hiérarchiques successifs. Quant à celui qui a lancé l’initiative, il n’a pas participé lui-même aux événements et peut ainsi, lui aussi, reposer sa conscience. Dans une telle hiérarchie, tout le monde peut rejeter la faute sur un autre, ce qui facilite grandement les horreurs. Ceci explique bien des drames de guerre, mais, de façon plus générale, beaucoup des errements du capitalisme actuel : bien souvent, ceux qui décident des licenciements de masse, par exemple, ne sont pas ceux qui sont chargés de les appliquer ensuite et ainsi, chacun, à son échelle, peut se persuader qu’il n’a rien fait, ou, au contraire, qu’il ne pouvait qu’obéir aux ordres.

Le casino de Royan après les bombardements. La ville fait partie des plus détruites de France durant la guerre.
Le casino de Royan après les bombardements. La ville fait partie des plus détruites de France durant la guerre.

Enfin, après nous avoir placés face à la réalité des événements, Zinn rappelle que dans les deux cas ces bombardements n’avaient pas forcément de justification stratégique. C’est de façon évidente le cas pour Royan : poche isolée dans une France majoritairement libérée, elle ne représentait aucun danger réel alors que les armées alliées étaient sur le point de mettre l’Allemagne à genoux. Ce bombardement survenu quelques semaines avant la capitulation n’avait donc pas pour but de faire tomber une forteresse cruciale. Zinn démontre la multitude des objectifs réels, et souvent moins avouables : désir de tester le napalm avant la fin du conflit, souhait d’en découdre avec des Allemands, désir des forces locales de s’illustrer au combat tant que c’est encore possible… Tous ces objectifs combinés ont conduit à la destruction de la ville et à de nombreuses pertes civiles, totalement inutiles.

Le cas d’Hiroshima fait pour sa part l’objet de plus de débats, même si pour Zinn, il s’agissait ici encore d’une attaque inutile. Peut-être est-ce la faille de son raisonnement, quoiqu’il donne de nombreux éléments pour le défendre : il est convaincu que le Japon était, de toute façon, prêt à se rendre quand bien même un débarquement allié n’aurait pas lieu. Or, un des principaux arguments des défenseurs du bombardement d’Hiroshima est qu’il s’agissait de sauver les millions de vies qui auraient été perdues en cas de débarquement. Le débat est encore virulent, et même si Zinn apporte des sources laissant penser que le gouvernement américain savait qu’Hiroshima ou un débarquement n’étaient pas nécessaires, aucune certitude n’est possible. Après tout, faire de l’histoire à rebours en se demandant ce qui se serait passé « si… » n’est jamais une science exacte.

Dans tous les cas, des similitudes reviennent avec Royan : bombarder Hiroshima permettait de montrer au monde la nouvelle arme absolue dont disposaient les États-Unis. Il s’agissait d’une part d’effrayer le Japon pour obtenir sa capitulation, mais surtout d’en imposer l’URSS de Staline, allié de circonstance dans le conflit contre l’Axe, mais ennemi idéologique avec qui une paix durable semblait impossible. Du reste, l’URSS devait entrer en guerre courant août 1945, et aurait certainement forcé le Japon à capituler. Bombarder Hiroshima, c’était donc, aussi, assurer que cette victoire serait américaine.

Hiroshima après le bombardement, photographie du département de la défense américaine.
Hiroshima après le bombardement, photographie du département de la défense américaine.

Ceci n’est pas anodin : si aujourd’hui, dans les sondages d’opinion, la plupart des Français interrogés considèrent que ce sont les États-Unis qui ont fait tomber l’Allemagne, une majorité juste après la fin du conflit attribuait cette capitulation à l’URSS. Pour les Américains, il était donc nécessaire d’avoir une victoire incontestable : celle du Pacifique était toute indiquée.

 

Le bombardement : une forme de terrorisme autorisée ?

Dans son ouvrage, donc, Zinn rappelle avant tout que les bombardements sont une arme sale par excellence. Quelle qu’en soit la portée stratégique, le massacre de civils en masse n’est pas plus légitime lorsqu’il vient du ciel, et Zinn n’hésite pas à parler de terrorisme pour dénoncer les bombardements. Une forme de terrorisme légitimée, un terrorisme d’État, mais un terrorisme tout aussi critiquable que les autres formes.

Il rappelle surtout que les pertes civiles, cyniquement transformées en « dommages collatéraux », toujours ignorées pendant le conflit, sont inévitables. En cela, Zinn fait le parallèle avec le Vietnam et l’Irak. À chaque fois, seuls les « méchants » étaient censés périr sous les bombes. À chaque fois, des dizaines de milliers de civils y passaient également.

À l’heure où nos politiciens en guerre nous racontent que seul Daesh périt sous nos bombes, il convient plus encore de se forger un esprit critique. Au début de la Première Guerre d’Irak, des journalistes français enthousiastes expliquaient que les bombes étaient d’une telle précision qu’elles pouvaient tomber « pile dans la cheminée » des usines… Nous savons, depuis, qu’il n’en est rien et que nombreux sont les civils morts dans l’opération.

L’ouvrage de Zinn interroge donc sur le ressenti de ceux qui sont en dessous. Même dans une guerre « juste », on est rarement convaincu par les bombes qui pleuvent. « Personne n’aime les missionnaires armés », prévenait Robespierre. Aujourd’hui, les missionnaires de la liberté bombardent, et ne semblent pas comprendre qu’on leur en tienne rigueur. Plus que jamais, les questions que soulignait Zinn peu avant de mourir sont primordiales.

Howard Zinn, La Bombe, Lux, 2011 (édition d’origine en 2010), 90 p.

Couverture de La Bombe, Zinn

Pour aller plus loin

Howard Zinn a publié pas mal de livres. Son Histoire populaire est un incontournable, mais très dense. Le journaliste Daniel Mermet travaille à une adaptation en documentaire de cet ouvrage, dont la première partie est sortie en 2015. Les éditions Agone ont également publié son autobiographie, intéressante pour saisir sa philosophe.

Howard Zinn, Une Histoire populaire des États-Unis, Agone, 2002
Howard Zinn, L’Impossible neutralité, autobiographie d’un militant, Agone, 2013

Sur la guerre et les bombardements de façon générale, voir notamment le traitement médiatique dans L’Almanach critique des médias (Olivier Cyran et Medhi Ba, 2005, Les Arènes) mais aussi quelques réflexions dans le récent ouvrage de Marc Ferro L’Aveuglement (2015, Tallendier).

Enfin, sur le bombardement de Royan, plusieurs sites consacrés à l’histoire de la ville recueillent photos et témoignages de cet épisode très peu connu, à commencer par le site de la ville lui-même.

12 commentaires sur “La Bombe, d’Howard Zinn

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  1. Retenir les leçons de l’Histoire pour éviter de répéter les mêmes erreurs.. si seulement ça pouvait être vrai.

    Malheureusement, je n’y crois pas. Les dirigeants et les peuples pensent trop souvent avoir la science infuse. Par contre, l’Histoire permet de savoir d’où nous venons et de comprendre la complexité (?) du monde actuel. Reste à savoir si « l’Histoire est un éternel recommencement ». De plus, l’étudier ne fournit pas forcément des recettes aux problèmes du moment. Néanmoins, je constate que la guerre est un moyen pratique (et souvent utilisé) de souder les peuples au moment où la situation sociale est tendue..comme en France actuellement.

    Par ailleurs, j’ai lu pas mal de bouquins sur les States au moment de la période bushienne parce que j’en avais assez de l’anti-américanisme de l’époque. Je voulais comprendre les mentalités de ce pays avant de le juger. Cette démarche m’a permis de prendre du recul par rapport à l’actualité.

    Aujourd’hui, je reconnais que je suis fortement « américanisé » sur le plan culturel. Pour autant, je ne dis pas « Amen » à la politique intérieure et extérieure US. Je n’ai pas lu les bouquins de Zinn mais je pense compenser cette carence assez rapidement.

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  2. juste MERCI. Pour la vidéo « Qd le ps est… » C’est exactement ainsi que j’ai vécu ces années là; BRAVO; Je trouve vos propos très justes et j’admire votre patience/courtoisie :)) >Bon week-end. Peut-on vs trouver sur Twitter? Moi c’est @hugoedulis (mes chiens d’avant…L’actuel c’est Artaud! Joke.
    Non, sans plaisanter merci, continuez, et vogue la galère (ds ts les sens du terme, pff!)June

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  3. La mise en question du bombardement n’est pas si courante. A Royan on peut bien sûr ajouter Dresde, comme exemple de bombardement choquant, sans compter bien d’autres connus ou moins connus. A ce propos, je vous recommande l’essai remarquable du suédois Sven Lindqvist, qui lui aussi prend nettement position relativement à ce phénomène : « Une histoire du bombardement », réédité à La Découverte en 2012. Qui n’est pas seulement un ouvrage historique, mais aussi un objet littéraire remarquable.

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  4. L’ouvrage de référence d’Howard Zinn est « Une histoire populaire des Etats Unis ».
    C’est remarquable. Comme le dit Daniel Mermet, Howard Zinn a le regard du lapin et non du chasseur. En outre il tire une grande leçon de l’histoire : les exploités peuvent devenir à leur tour des exploiteurs. Ainsi les esclaves noirs ont créé le Liberia en y reproduisant le travail forcé dans l’industre du caoutchouc. Tout l’ouvrage se lit comme un roman, il a sa place à portée de main.

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  5. Merci pour ce conseil de lecture, le livre d’Howard Zinn est effectivement très intéressant, j’en savais déjà pas mal sur sujet (je passionné d’aviation), mais j’en ai appris encore grâce à lui… et votre vidéo en est une excellente synthèse.

    Pour compléter sur le sujet, je met un extrait d’un texte écrit par le général Larminat – l’un des co-responsable du bombardement de Royan – trouvé sur un forum d’histoire(*), car je le trouve très représentatif des manières de penser que dénonce Zinn dans son livre.

    Avant de le lire, juste un derniers commentaire sur les justifications militaires que donne Larminat : elles sont complètement injustifiées, l’armée Allemande n’était plus, depuis plusieurs mois, en état de faire la moindre offensive : ‘Bagration’ et l’offensive des Ardennes, lui avait définitivement brisé les reins ! ….et ce n’est pas que nos contemporains qui le disent, beaucoup d’officiers supérieures de cette époque le disaient déjà – dont un certain Leclerc qui avait protesté contre l’utilisation d’une partie de sa 2ème DB dans la réduction des poches de l’Atlantique.

    Quand aux « considérations moral » qu’il en donne, je vous en laisse seules juges…

    «  » »Il est certain que si l’on considère la tranquillité des gens du pays, cette attaque était fort mal venue. Il est certain aussi que le problème se fût trouvé résolu de lui-même un mois plus tard par la capitulation de l’Allemagne. Attaquer Royan vers la mi-avril serait donc un non-sens, un coup d’épée dans l’eau, qui aurait entraîné des pertes et des destructions sans bénéfice palpable. Et le commandement qui l’a exécuté serait condamnable.

    Tout cela est indiscutable, vu à posteriori, et si l’on s’en réfère au seul critère des intérêts matériels locaux. La question est de savoir si, sur le moment, cette attaque avait une justification militaire, et si son intérêt, sur le plan de la nation, et non pas seulement sur celui des habitants de la région, légitimait les sacrifices qu’elle entraînait nécessairement.

    Le dégagement de l’estuaire de la Gironde était la mission essentielle du commandement de l’Atlantique Il était prévu, et les moyens de renforcement commencèrent à se mettre en place, au début de janvier, lorsque la contre-offensive von Rundstedt fit refluer sur l’est toutes les forces disponibles. Le projet en fut repris en mars, les renforcements mis en place au début d’avril. A l’époque, il était admis que la dernière phase de la guerre touchait à sa fin, mais il était aussi très sérieusement envisagé que l’ennemi chercherait à prolonger la lutte en utilisant des réduits préparés à l’avance, depuis les  » poches  » de l’Atlantique jusqu’au réduit bavarois en passant par certaines positions en Norvège et au Danemark, peut-être dans l’espoir et l’attente que des conflits se déclareraient entre Alliés lors de la rencontre des Occidentaux et des Soviétiques, mais aussi pour pousser à l’extrême la résistance, finir farouchement en beauté, sans capitulation, dans le style Götterdämmerung cher aux Germains.

    Je donne pour preuve de cette opinion alors répandue l’intérêt que les commandements alliés apportèrent aux opérations de Royan considérées comme banc d’épreuve de méthodes qui pourraient être employées dans des cas semblables.

    Il y avait beaucoup plus. La considération que le monde a pour une nation, qui pour celle ci est un élément important de sa situation, car nul ne vit seul, ne se mesure pas seulement à sa population, ses richesses, sa culture, mais avant tout selon sa virilité. Celui qui est réputé n’avoir le désir ni la force de défendre son bien, celui-là est une proie désignée.

    Les gens raisonnables et  » arrangeants  » sont durs d’oreille. Le choc du glaive de Brennus dans la balance, son Vae Victis, cela ne leur dit rien. Et pourtant à certains moment c’est ce qui règle tout. 

    Notre réputation de virilité, de valeur militaire, avait été terriblement atteinte en 1940. Les railleries des deux colosses, l’Américain et le Russe, étaient cruelles à subir. Certes les F.F.L., puis l’armée d’Afrique, celle d’Italie, la 1re Armée, avaient montré que le soldat français gardait sa valeur. Mais c’étaient des troupes de métier et en majorité composées de Nord-Africains, Africains, étrangers. Il était de toute autre portée que nos F.F.I., soldats sortis spontanément du terroir, démontrassent leur pugnacité, leur capacité à battre sur son terrain un ennemi puissamment armé et bien entraîné.

    Ceci est évident sur le plan mondial. Mais cela touche aussi la nation prise en elle-même. Un pays qui a été battu, humilié, ruiné, ne peut reprendre son essor vers la renaissance s’il ne s’appuie sur une bonne conscience, la conscience de mériter son renouveau, de pouvoir porter la tête haute, d’être dégagé et lavé de ses souillures et de ses hontes par des actes de combat et des sacrifices, et quand bien même ceux-ci ne seraient-ils pas immédiatement payants.

    Cela, beaucoup de gens dans le Bordelais, et M. R. Aron les suit volontiers, ne veulent pas le comprendre. C’est un pays qui n’a pas connu les souffrances directe de la guerre depuis le XVIe siècle, un pays de vie facile, de climat physique et moral un peu mou, ou le sens civique et patriotique était chez certains quelque peu dégradé. L’occupation allemande n’avait pas amélioré un tonus moral médiocre, et j’en connais des exemples qui eussent été inconcevables dans les régions du Nord et de l’Est où la fibre est plus rude, où la confrontation séculaire avec l’ennemi et les réalités de la guerre ont endurci les âmes, où l’on accepte les épreuves avec stoïcisme, sans se plaindre ni composer.

    Les possédants du cru étaient fort scandalisés de devoir fournir le champ de bataille et beaucoup pensaient et pensent encore que ces Allemands, avec qui on vivait et l’on faisait des affaires depuis quatre ans sans trop de douleur quand on savait s’arranger, étaient au fond plus supportables que ces soldats improvisés et turbulents venant des maquis, qui avaient la prétention de régler par les armes ce qui pouvait, avec un peu de compréhension, se traiter paisiblement. Après tout n’était-ce pas par d’habiles tractations que l’on avait réussi à sauver des destructions Bordeaux et son grand pont sur la Gironde ? Tout au fond d’eux-mêmes beaucoup d’hommes avisés eussent volontiers envisagé une sorte de zone neutralisée où Français et Allemands auraient attendu en bonne harmonie que les Seigneurs de la guerre règlent le conflit loin d’eux. Ils n’étaient pas du tout pour la guerre totale, à Bordeaux et alentour, oh! non, pas du tout.

    Ce qui explique la rancune tenace qu’ils portent à ceux qui ont contribué à troubler leur tranquillité.

    J’ajouterai ceci. Ceux qui payèrent le vrai prix, avec leur sang, étaient tous ardemment volontaires, et jamais il n’y eut récrimination de leur part. Alors que peuvent bien avoir à dire ceux qui n’ont souffert que dans leurs commodités et leurs biens périssables ? Ils ne l’emporteront pas avec eux. » » » 

    (*) http://www.passion-histoire.net/viewtopic.php?f=49&t=15672

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  6. je découvre vos interventions,
    elles posent les questions essentielles liées à la vulgarisation historique et
    placent le doute comme un enrichissement salutaire,
    il est difficile de s’afficher comme honnete et modeste mais le style sobre et concis du « baladur exotrope sous prozac » permet d’accéder à un début de reflexion depassionnee qui relie les interrogations du passé aux manipulations actuelles.
    un commentateur efficace, un montage discret pour un texte fluide: le guillemin nouveau est arrivé !

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