En ces temps où la chaîne et le site sont très silencieux pour cause de fin de rédaction de thèse j’ai, tout de même, voulu prendre quelques temps pour évoquer quelque chose croisé dans mes recherches qui me semble particulièrement précieux à l’heure actuelle. On voit, depuis quelques jours, des injonctions fortes faites aux Musulmans de « rester discrets » dans le contexte actuel ; avec des polémiques sur le « burkini » qui sont avant tout des écrans de fumée destinés à détourner l’attention de bien des failles du gouvernement (mais la technique n’est pas nouvelle : on l’avait déjà vue avec la polémique du voile sous Mitterrand/Rocard).
On me demande souvent sur quoi portent mes recherches, et la réponse (les grandes compagnies de paquebots transatlantiques du début du XXe siècle) semble très éloignée des thèmes politiques que j’ai l’habitude d’évoquer avec Veni, Vidi, Sensi (quoique je me sois amusé à faire une analyse du naufrage du Titanic sous l’angle de la lutte des classes). Mais qui dit début du XXe siècle dit années 1930, et donc fameux « jours les plus sombres de notre histoire ». En étudiant il y a quelques années, pour mon mémoire de master, le cas du paquebot Normandie, je suis ainsi tombé sur une histoire qui devrait nous rappeler une élémentaire méfiance.

Les Juifs à bord du Normandie
Le Normandie, donc, fut le fleuron de la marine française, mis en service en 1935 sur la ligne Le Havre-Southampton-New York. Particulièrement luxueux, il cherchait en particulier à attirer l’élite mondiale. Pour cela, la Compagnie générale transatlantique misait sur des distractions très variées (théâtre, spectacles, cinéma, tir, tennis, piscine…), mais aussi, de façon intéressante, sur la religion. Jusque-là, les aspects religieux étaient assez négligés sur les paquebots. J’ai ainsi trouvé un échange entre un potentiel client et la compagnie britannique Cunard, demandant qu’une petite chapelle soit installée dans une cabine sur le gigantesque Queen Elizabeth en 1940, et la réponse de la compagnie avait été une sorte de « oui, mais non, ça n’est pas utile ». À l’inverse le Normandie disposait d’une gigantesque chapelle, pouvant servir à la fois aux rites protestants et catholiques.

Mais parmi les passagers fortunés de la ligne de l’Atlantique Nord figuraient également des Juifs. Faut-il rappeler quel était le climat d’antisémitisme généralisé des années 1930 ? Justement, oui, car on imagine souvent, à tort, que cet antisémitisme devait être d’une violence dépassant très nettement l’islamophobie actuelle qui, de l’avis de trop encore aujourd’hui, « n’est pas si grave ». Je vais donc vous proposer des échantillons d’antisémitisme ordinaire de l’époque, qui auront un certain écho.
En 1935, donc, le Normandie essaie aussi d’attirer la clientèle juive. Pour cela, la compagnie fournit cuisiniers et vaisselle kasher de façon à rendre ses passagers israélite plus à l’aise. Un rabbin parisien faisant figure d’autorité est d’ailleurs régulièrement sollicité pour donner son expertise. Une publicité de l’époque expliquait ainsi :
« Outre la surveillance rituelle qui s’exerce à chaque départ du paquebot, un contrôle est effectué au cours de la traversée par un Représentant du Rabbin ou par le Rabbin lui-même. La cuisine « Kasher » ainsi que les glacières occupent des locaux spéciaux dont un « shomer » en permanence à bord de chaque navire détient les clefs. La vaisselle, l’argenterie et tous les ustensiles de cuisine portent l’estampille רשב [viande]. Les vivres proviennent uniquement des maisons placées sous la surveillance d’un rabbin orthodoxe et toute viande est déjà faite « kasher » avant son embarquement. Durant le Shabbat, aucun repas n’est préparé. Les aliments cuits la veille sont réchauffés pour les personnes qui ne supportent pas la cuisine froide. Les cuisines « kasher » du paquebot Normandie ont été l’objet d’une étude approfondie et notre clientèle peut être assurée qu’elle trouvera sur cette magnifique unité un service impeccable »
En prime, il avait été décidé d’offrir, chose inédite, un lieu de culte aux passagers juifs. Le mobilier rituel avait été commandé, mais un problème majeur survint à son arrivée : on avait oublié de prévoir un local ! Panique à bord ; il fut finalement décidé d’installer, provisoirement, ce mobilier rituel… dans la salle à manger des enfants de première classe. Petit point de détail : cette salle à manger avait été décoré par Jean de Brunhoff, le créateur de Babar, et justement, l’éléphant et ses amis étaient représentés gambadant partout le long des murs. On avait vu plus solennel, comme lieu de culte. Les journaux juifs, comme La Tribune juive, prirent la chose avec philosophie : certes, il y avait un désagrément, mais pour une fois, on avait au moins pensé à eux.
Les passagers de première classe, en revanche, furent moins conciliants. Dans un des rapports de voyage du navire, le commissaire de bord, chargé de l’accueil des passagers, déclara :
« Pour éviter l’invasion des 1ères classes par les Israélites de 3ème et de Touristes, et aussi pour mettre fin aux réclamations des parents, nous avons enlevé la Thora de la salle à manger des enfants en Ière classe et l’avons mise en Touriste dans la salle de jeux des enfants. Pendant la traversée d’aller, nous avons dû la déplacer encore une fois et la transporter pendant deux jours au fumoir des 3èmes classes où se sont déroulées les cérémonies du Grand Pardon. Y assistaient les passagers israélites pratiquants des trois classes, soit environ 60 personnes, que le Gymnase des Enfants n’aurait pu contenir. »
On voit ici comment les Juifs étaient perçus dans les faits : le commissaire parle ainsi « d’invasion », mais surtout, rappelle les nombreuses réclamations de parents qui, visiblement, ne supportaient pas que leur progéniture soit en « contact » avec des objets liés au culte israélite.
Finalement, la compagnie étant désireuse de satisfaire la clientèle, une solution fut trouvée, et une synagogue fut aménagée dans un recoin inutilisé du navire. Les passagers israélites s’en montrèrent fort satisfaits. Un peu trop, au goût du commissaire de bord :
« En donnant satisfactions aux demandes du Surveillant Israélite du Bord, nous suivons les directives données par notre Administration. Nous la mettons cependant en garde contre le danger que présenterait une trop grande publicité faite autour des facilités que nous donnons à bord à la pratique ouverte de la religion Israélite. Notre surveillant rituel fait une propagande tout à fait inopportune, tant au point de vue Cuisine Kasher que cérémonies religieuses et nous craignons que Normandie ne perde plus qu’elle ne gagne à devenir officiellement le navire où les Israélites réunis et groupés représenteraient un bloc et se considéreraient comme chez eux. »
Ce brave commissaire de bord, par ailleurs plébiscité par les passagers pour son dévouement et son affabilité, était-il un affreux antisémite qui, quelques années, dénonça des Juifs à la Gestapo pour sa satisfaction personnelle ? Je ne sais pas ce qu’il est devenu après la dernière traversée du Normandie, en août 1939, bien malheureusement. Mais il est probable qu’il se situait en réalité juste dans la moyenne des idées de l’époque, et que l’homme était tout sauf monstrueux. Ce qui rend ses propos si effrayants : il connaissait son métier, et savait qu’un nombre non négligeable de clients potentiels fuiraient la compagnie s’ils savaient que celle-ci était trop généreuse envers les Juifs. Ces propos ne doivent donc pas pousser à blâmer l’individu qui les a tenus, mais bien la société dans laquelle ils étaient tenus : j’ai déjà assez insisté ici sur la nécessité de comprendre les choses de façon systémique sans trop se concentrer sur les responsabilités individuelles.
Cette anecdote, qui n’eut vraisemblablement pas de suite (du moins n’ai-je pas trouvé d’autre document sur le sujet en plusieurs mois de fouilles dans les archives) est resté inaperçu. Du reste, aujourd’hui encore, le Normandie est probablement le seul paquebot à avoir jamais comporté une synagogue, même si la publicité à ce sujet fut, logiquement, ciblée vers les populations juives. Mais l’affaire nous apprend surtout qu’en 1930, pour une entreprise privée, il était risqué de se montrer ouvertement trop accueillant envers les Juifs.
Plus encore, cette histoire nous rappelle que l’antisémitisme, ce n’était pas (que) les outrances de Mein Kampf (dont nous sommes nombreux à parler sans réellement comprendre la portée réelle de son contenu), mais des attitudes au quotidien : ces parents qui craignaient que leurs enfants ne mangent à côté de mobilier rituel orné d’étoiles de David ne furent probablement pas tous prompts à dénoncer leur voisin pendant la guerre. Il est probable qu’une bonne part fut même profondément choquée par la tournure que prit les événements, un génocide étant tout de même plus difficile à cautionner que des clichés racistes. Mais cette atmosphère de clichés, dans laquelle il baignèrent et se laissèrent emporter, contribua fortement à agencer les cartes pour mener au pire. Voilà pourquoi le racisme latent soulevé par des affaires comme celle du burkini est si grave, même si nombreux sont ceux persuadés de soulever le problème pour de bonnes raisons n’ayant rien à voir avec le racisme (laïcité, une certaine vision du féminisme ; on y reviendra).
Quelles similitudes aujourd’hui ?
Revenons désormais à notre époque. Certaines entreprises ont, parfois, pu prendre des mesures ouvertement favorables aux Musulmans : je pense par exemple aux recettes halal proposées par Quick, ou plus récemment encore, à cette journée privatisée « burkini » dans un parc aquatique, qui a tant fait scandale. À chaque fois, des entreprises privées ont pris des décisions pour satisfaire les besoins d’une certaine clientèle, victime par ailleurs d’un fort sentiment raciste. Car de même que l’accès à la synagogue du Normandie et la consommation de nourriture kasher n’y étaient pas obligatoires, nul ne vous oblige à manger halal chez Quick (quand bien même le restaurant ne proposerait que cela, nul ne vous oblige à manger chez Quick !) ou à porter une tenue particulière dans un parc aquatique lors de journées non privatisées. La question pourrait se poser dans le cas de services publics manquant à leur mission de neutralité, mais même là, elle est résolument stupide lorsqu’il s’agit de s’insurger contre… le choix laissé aux usagers. En 1930 comme aujourd’hui, le problème était donc surtout que certaines pratiques étaient jugées incompatibles avec la société française, et devaient, de fait, rester « cachées ».
Plus encore, on peut relever qu’il n’y avait pas d’enjeu de laïcité en l’occurrence : nul n’était dérangé par la chapelle du Normandie, ni par les bénédictions officielles dont elle faisait l’objet ; de même que nul n’ira accuser une nonne en balade dans la rue d’être trop religieusement habillée (on a d’ailleurs vu récemment un prêtre s’inquiéter sur Twitter que les mesures « laïques » puissent aussi toucher le culte catholique). En 1930 comme aujourd’hui, donc, l’antisémitisme et l’islamophobie ne passaient pas uniquement par des appels à la haine et aux massacres ou par des actes de violence visibles, généralement condamnés – quoique de moins en moins, tendance également visible dans les années 1930. Ce qui crée, en réalité, un climat favorable aux horreurs qui survinrent ensuite dans les années 1940, ce sont tous ces jugements quotidiens qui, peu à peu, ostracisent une population dont le comportement n’est pas jugé adapté.
Les limites des comparaisons historiques
Malgré le succès de mon anecdote sur Twitter, je dois inviter à une certaine méfiance envers le procédé de la comparaison historique que je viens d’utiliser. S’il est une chose que je répète dans mes vidéos et sur ce site, c’est bien que mes paroles ne doivent pas être bues sans un certain recul.
La première erreur à la lecture de ce genre d’analyse est de faire une remarque très tentante, que j’ai beaucoup vue sur Twitter en réponse à mon histoire : se dire que l’Histoire est un éternel recommencement. Non, l’Histoire ne se reproduit pas ; on n’assistera pas à la même suite d’événements, car les données actuelles ne sont pas les mêmes. On peut, et doit, souligner des similitudes qui annoncent de mauvaises choses : c’est ce que j’ai fait. Il est indéniable que la renaissance d’une communauté servant de « boucs émissaires » comme l’ont été les Juifs pendant longtemps en France est un mauvais signe. Cela signifie-t-il que cela débouchera sur un génocide ? Ce serait ici quitter l’analyse historique pour de la science fiction.
Ainsi, l’historien de référence sur Vichy Robert Paxton (que je ne cite pas du tout parce que je viens de finir son ouvrage sur la période) avait démontré comment le régime français n’avait pas eu, lui-même, de projet d’extermination des Juifs, demandé par l’Allemagne, mais avait malgré tout énormément contribué à ce projet, par la politique discriminatoire qu’il avait mise en place, créant ainsi un environnement favorable au génocide. Néanmoins, bien des antisémites français, notamment catholiques (je rappelle que La Croix s’est longtemps surnommée elle-même « journal le plus anti-juifs de France ») ont été choqués par l’extermination qui a fait sur eux l’effet d’un électrochoc. À l’heure actuelle, aucun pays planifiant l’extermination des musulmans ne semble prêt à nous envahir, aussi le scénario des années 1940 est très improbable. L’Histoire ne se répètera pas. Elle peut par contre être très inventive dans l’horreur. Nul ne peut prédire comment cela se manifestera, ni quand. Mais on peut en revanche sentir venir des signes avant-coureurs de choses désagréables. L’Histoire ne permet pas de prédire le futur, mais elle peut permettre d’éviter de refaire deux fois la même erreur.

D’autre part, justement, pour en tirer un maximum, il convient aussi d’insister sur les différences par rapport à l’époque. Certains m’ont par exemple rétorqué que nous étions en guerre contre des terroristes islamistes, ce qui change la donne. Supposons que l’argument mérite que l’on s’y attarde : dans les années 1930, d’une part, le terrorisme juif en Palestine était monnaie courante, y compris contre des officiers coloniaux britanniques (renseignez-vous sur l’Irgoun, pour ceux que ça intéresse). D’autre part, l’antisémitisme français, celui notamment de Drumont puis de l’Action française, considérait avant tout les Juifs comme dangereux car ennemis de la France, car supposés extérieurs à la patrie, donc potentiellement traitres à la patrie : c’était un moteur de l’affaire Dreyfus ; par la suite, les Juifs ont tout autant pu être accusés de la défaite de 1940 (que la droite conservatrice attribua au Front Populaire et, donc, à Blum, un Juif) ; ou de faire partie d’un complot mêlé avec d’autres traitres potentiels (francs-maçons, communistes…). Bref, l’idée de « l’ennemi de l’intérieur » était déjà là, et on la retrouve bien aujourd’hui avec les sordides appels faits aux Musulmans pour se « désolidariser » des terroristes.
En revanche, parmi les différences, sur lesquelles je ne m’attarderai pas faute d’être compétent sur le sujet, on peut relever la démographie : les Juifs étaient moins nombreux en France que les Musulmans actuels, mais mieux placés socialement pour un partie d’entre eux. Pas d’appel au complot ici, l’explication est sociologique : en interdisant certains métiers, notamment le prêt d’argent, certains commerces et certaines formes d’artisanat, l’Église catholique les avait relégués aux Juifs, dont certaines familles se sont enrichies. À l’inverse, la main d’œuvre musulmane littéralement importée en France au cours du siècle était destinée à des travaux peu qualifiés et venait déjà dans un rapport de domination issu de la colonisation. Alors qu’en 1936, le président du conseil des ministres était juif, on peine à imaginer aujourd’hui en France un Premier ministre musulman, surtout au vu des réactions pour le moins glauques de la presse à l’élection du maire de Londres Sadiq Khan.
Enfin, si l’islamophobie venue de droite n’a pas de grandes différences avec l’antisémitisme de droite des années 1930, celle qui vient de la gauche utilise un chemin différent de l’antisémitisme de gauche de l’époque. Celui-ci se fondait, justement, sur le statut de « riches » de certaines grandes familles juives ; à gauche comme pour la droite conservatrice, résolument anticapitaliste elle aussi, l’idée était que les Juifs étaient probablement à la solde du capitalisme américain, aussi détesté que le communisme soviétique. Aujourd’hui, difficile d’utiliser cet argument : certes, pour la droite « patriote », le Musulman peut rester un ennemi de l’extérieur (souvenez-vous de mes explications sur la bataille de Poitiers), mais pour la gauche, impossible de voir dans l’Islam l’incarnation du capitalisme.
D’où l’appel à deux autres prétextes, la laïcité et les droits des femmes. Le premier peut-être légitime dans le cadre de l’histoire profondément anticléricale d’une partie de la gauche française, qui a depuis longtemps l’habitude de condamner toutes les religions. Le problème étant qu’il ne prend pas en compte les différences de situation sociale (globalement, les catholiques intégristes de Civitas viennent d’un milieu plutôt aisé, par exemple), et surtout qu’il a ouvert la place à une laïcité fantasmée « de droite », celle qui appelle à être laïque tout en rappelait les valeurs du Christianisme ; bref, une laïcité qui ferait mourir une deuxième fois ses créateurs.
Sur la question de l’usage du droit des femmes dans ce contexte, beaucoup ont déjà expliqué bien mieux que moi en quoi il s’agissait-là, généralement, d’un prétexte au racisme dans la mesure où les oppressions dirigées par les femmes sont loin de se limiter au burkini, et que les plus violentes et fréquentes sont au contraire traditionnellement occidentales. Du reste, bien des petits malins pourront rappeler que la Bible prône également les femmes voilées et que les bonnes sœurs sont rarement dévêtues.
Il est donc clair que la situation d’aujourd’hui est aussi éloignée de celle des années 1930 qu’elle n’a de similitudes avec elle. L’Histoire ne permettra jamais de prévenir le futur, mais comprendre le fonctionnement du passé peut grandement aider à appréhender le présent. Encore faut-il, pour cela, ne pas se limiter aux idées reçues, et c’est là que la recherche, même de détail, peut-être utile. Après tout, cet article découle de mes recherches de master sur le paquebot Normandie, les informations à ce sujet devaient occuper au final deux pages de mon mémoire qui en fit plus de 200… Mais ce point de détail, en certaines occasions, peut en éclairer d’autres.
Quelques sources pour aller plus loin
Je ne peux pour l’instant pas proposer mon mémoire de master à la lecture, pour diverses raisons, mais j’essaierai de le rendre accessible quand j’aurai le temps de me pencher sur la question, une fois ma thèse finie (à la fin du mois, on y croit, haut les cœurs !).
Dans l’attente, les points relatifs au Normandie me viennent de mes recherches dans les épatantes archives de l’Association French Lines, au Havre, qui contiennent notamment les rapports de voyage du Normandie. Je suis également certain d’y avoir vu une photo de la salle à manger « Babar synagogisée », mais je n’ai pu en retrouver la trace dans mes notes. Il me semble néanmoins l’avoir également croisée dans un vieil ouvrage collectif sur le Normandie qui avait notamment pour auteur Claude Villers (le Claude Villers du Tribunal des flagrants délires, pour les connaisseurs).
Sur la situation de la France à l’époque et notamment les conséquences de cet antisémitisme sous l’Occupation, j’ai récemment lu La France de Vichy de Robert Paxton (Seuil, réédité en 1997) dont je ferai d’ailleurs peut-être prochainement une chronique…
Texte passionnant, mais j’aimerais émettre une réserve : je suis athée, d’origine catholique, et je considère que chaque croyant a les mêmes droits pour un lieu de culte, donc si on autorise des églises, il n’y a pas de raison de ne pas en faire autant pour les mosquées et les synagogues. Par contre, ce qui me gène, c’est d’afficher son appartenance religieuse dans la rue. J’imagine une société où chacun s’habillerait en fonction de sa croyance (ou non-croyance), pour être immédiatement identifiable. Ou encore pire, chacun porterait une pancarte précisant sa confession. Or, aujourd’hui, on ne vois pas beaucoup de gens afficher ostensiblement leur foi, sauf les musulmans. Il me semble que dans une communauté, si on veut absolument qu’on nous regarde différemment, il n’est pas étonnant que ce regard « différent » puisse parfois être hostile.
Je précise que mes origines albanaises font que je me sens très proches des gens du moyen-orient et du Maghreb, donc je réfute d’avance toute accusation de racisme.
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Rappellons cependant que le port du voile n’est pas volontairement ostentatoire , il relève davantage d’un lien entre celle qui le porte et Allah que d’une volonté particulière d’affirmer sa religion aux yeux des autres
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je comprends bien qu’il ne s’agit pas d’un bras d’honneur envers les non-musulmans, mais comme dans beaucoup de domaines, il ne suffit pas de d’être « sincère » en faisant fi de l’impact sur les relations avec les autres. On peut être sincèrement nudiste, mais s’abstenir de se promener à poil devant des gens qui ne le sont pas.
Et quand un croyant donne autant d’importance dans l’affichage de son lien à Allah, Yahvé, Dieu, voire son pays, il ou elle créé automatiquement une barrière d’avec les « autres ». Si dans une soirée je me trouves à discuter avec une nonne en tenue, un curé en soutane, ou une musulmane voilée, soit la discussion s’orientera automatiquement vers leur religion, soit au contraire, on évitera soigneusement d’évoquer les sujets qui fâchent, mais dans tous les cas, la communication sera biaisée.
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Le discours anti-burkini est le miroir inversé de celui d’il y a 50 ans où on voulait légiférer pour empêcher les femmes de se balader en bikini, et ce au nom de valeurs morales héritées de la religion.
Aujourd’hui on veut légiférer pour empêcher les femmes (encore elles) de se balader en burkini, et ce au nom de valeurs morales soi-disant républicaines.
Le jour où on se foutra la paix malgré nos marques de fringues ostentatoires, nos croyances ostentatoires et nos nichons ostentatoires, ce jour là on aura marqué des points pour le vivre ensemble.
Je précise que je suis athée d’origine catho et que je réfute d’avance toute accusation d’islamo-gauchisme.
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Bien, bien, jusqu’à « et que les plus violentes et fréquentes sont au contraire traditionnellement occidentales » – vraiment ? Plus violentes que la lapidation de victimes de viol, des « crimes d’honneur » ?
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bravo pour cet article.
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C’est étrange cette tournure : «Je précise que je suis machin-bidule-chouette et que je réfute d’avance toute accusation de truc-bidule-opprobant.» Je ne vois pas en ce genre ce phrase, très autoritaire, devrait empêcher toute discussion sur le caractère possiblement discriminant du propos. En fait, j’ai l’impression qu’il est nécessaire de pratiquer ce type de discriminations pour affirmer ces choses, car penser l’origine d’une personne comme l’empêchant de pouvoir penser des choses stupides me parait bien raciste comme façon de penser. ‘fin bon…
«Par contre, ce qui me gène, c’est d’afficher son appartenance religieuse dans la rue.» C’est un lieu commun qu’on entend régulièrement en ce moment et qui m’attriste tellement. Le vêtement est un discours, tout comme la manière de marcher dans la rue. Ce discours, dans le sens d’un ensemble de signes auxquels un observateur donne un sens social, n’est pas forcément choisi ni voulu par celui qui l’émet, et encore moins l’interprétation qui en est fait. Il s’agit donc d’interdire aux gens de choisir le discours qu’ils portent dans les lieux publics, en particulier en ce qui concerne les opinions religieuses. Si pour ma part, j’ai du mal à différencier opinion religieuse de l’opinion politique, les deux me semblant forcément liés (évidemment, il ne faut pas se limiter à une conception gauche-droite de la politique, mais voir la politique comme la vie en communauté), on peut ne pas s’arrêter sur ce point. Cependant, ne pas manifester d’opinion religieuse dans les lieux publics signifie aussi ne pas manifester d’opinion athée dans la rue. Donc il faut que l’opinion religieuse ne soit pas discernable, donc il faut que tout le monde porte le même vêtement dans la rue car chaque vêtement différent pourrait potentiellement contenir la marque d’une opinion religieuse (athée, agnostique, pastafariste, jedi, adventiste, salafiste, adorateur du chaos, etc.) ou politique qui pourrait être associé à une opinion religieuse (anarchiste, communiste, etc.).
C’est effectivement une opinion qui mérite d’être poussée un peu plus loin que le simple : «je ne veux pas être dérangé dans mes convictions quand je me balade dans la rue au quotidien.» qui motive je crois ce lieu commun. 😉
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à chacun ses « lieux communs », et son sentiment de supériorité par rapport aux avis contraires aux leurs..
Que serait la vie en société si chacun se promenait avec une pancarte affichant sa religion?
Aujourd’hui, la seule religion qui s’affiche un peu partout, c’est tout de même l’islam. Les Sikhs et le juifs ne se remarquent pas trop sur les marchés, et les athées encore moins.
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Ah bon ? Moi à Paris je croise très régulièrement des hommes juifs jeunes ou âgés qui portent la kippa dans la rue, ça ne choque personne. La tenue vestimentaire des jeunes filles juives à la sortie des établissements confessionnels est aussi souvent reconnaissable avec leur jupe longue etc (il faudrait qu’elles se changent avant de sortir pour mettre une tenue « décemment moins couverte » pour correspondre aux attentes du bon français moyen ?), du coup est-ce qu’il faut interdire tout ce qui rappelle de près ou de loin une religion pour être sûr qu’on ne puisse pas les identifier comme tels (et en être mortifié, car oui c’est terriblement choquant de voir des signes religieux au grand jour) ? Comme l’établissement scolaire qui interdit le bandeau dans les cheveux d’une jeune fille sans doute au teint basané ou au nom équivoque, parce que « on se doute que ça remplace un voile » et du coup c’est mal ? ou la jeune fille qui s’est fait refouler de son établissement parce que sa jupe était trop longue, ce qu’on a considéré comme un signe religieux, et du coup c’est mal ? Si je n’ai pas de chapeau et que je mets mon foulard sur la tête pour me protéger du soleil on va venir me prendre le chou, parce que c’est religieux et/ou un signe de soumission de ma part, ou bien ça passe vu que je suis blonde ? Ces histoires de tenues vestimentaires « ostentatoires » sont souvent l’occasion d’avoir et d’excuser des comportements racistes. Les vêtements et accessoires sont partagés et partageables par tous, la symbolique qui va avec ne l’est pas forcément, chacun peut se le réapproprier comme il le souhaite et c’est très bien comme ça, pas besoin de diminuer les libertés de qui que ce soit.
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Merci pour ce texte, qui est de très agréable à lire et d’une superbe qualité de réflexion.
Bonne continuation et bon courage pour la fin de la thèse !
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Bonjour
Je ne vois pas pourquoi vous affirmez d’autorité (sans arguments) qu’il est impossible pour la gauche (ou quiconque) de voir dans l’islam l’incarnation du capitalisme américain (passage sur l’analogue à vec les juifs). En effet vous ignorez ou faites semblant d’ignorer -1) qu’il existe un grande variété d’islams (même au sein du sunisme). -2) que le retour au religieux depuis 30-40 ans est le fruit d’un activisme très particulier d’un islam très particulier (le wahabisme saoudien) qui s’exerce en dehors de « la terre d’Islam » comme en son sein (du Maroc à l’Indonésie qui voient leurs pratiques islamiques soumises à la pression (les fils wahabises contre les mères parfois). -3) que ce nouveau prosélytisme s’appuie sur des moyens faramineux (on parles de dizaines de milliards sur des des décennies) -4)que cet islam particulier est le bras armé de l’imperialisme américain soit comme supplétif (cas de la Bosnie qui est maintenant bien documenté) soit comme supportant l’effort principal (restons en à l’Afghanistan pour ne pas polémiquer).
Alors évidement l’islam n’est pas l’incarnation du capitalisme (surtout qu’il interdit l’usure), mais il est plus que possible de voir chez les islamistes qui mangent à la gamelle saoudienne les idiots utiles des actionnaires de Carlyle (dont certains princes saoudiens sont actionaires d’ailleurs).
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Dans le cas de la laïcité, il me semble qu’on l’avait aussi imposée pour protéger toutes les religions. Je remarque que l’on confond souvent « laïcité » et « anticléricalisme ». Supprimer l’expression « le catholicisme est la religion de la majorité des Français » d’une constitution est un sacré (ah, ah, ah) acte émancipateur. D’autre part, sanctionner le burkini est une aberration quand on prétend lutter pour l’égalité hommes-femmes. Ce port est déjà le signe d’une domination machiste. Et il faudrait, par dessus le marché, pénaliser la femme qui le porte ? Donc, c’est la double sanction. Elle est placée entre le marteau et l’enclume. Curieuse façon d’émanciper une femme.. D’autre part, voir une classe politique jouer les féministes, après les révélations récentes de l’affaire Baupin, me fait hurler de rire !
Pour les comparaisons historiques, la situation actuelle me fait plutôt penser à celle de l’Italie des années de plomb. Des attentats traumatisants pour stimuler la peur et un désir de sécurité dans la population. Or, on sait aujourd’hui que les commanditaires de l’époque espéraient que ce besoin protecteur évolue vers un régime policier (tiens, tiens) voire autoritaire. Mais les Transalpins ne sont pas tombés dans le piège.
L’association s’arrête là. Loin de moi l’idée que « djihadiste et Hollande, même combat »; ce serait absurde. En revanche, ces fanatiques rêvent de voir la France basculer dans une dictature islamophobe. Une perspective qui, hélas, ne me parait pas si irréaliste à long terme. En effet, je trouve que nous vivons dans une grande situation de confusion intellectuelle et émotionnelle.
Toutefois, ce n’est ici que l’opinion d’un agnostique pessimiste mais pas (encore) découragé.
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Petit exercice de comparaison sur les usages sémantiques sur l’usage du mot « guerre ».
L’antisémitisme prend de l’ampleur avant le premier conflit mondiale, et le jargon reste longtemps modéré sous la dénomination de « lutte » d’influence, sociale, ou religieuse. Ce n’est que à l’apparition du parti Nazi que les discours empruntent le champ sémantique du domaine militaire envers les juifs. Et ce n’est que en 1943 suite à la défaite de Stalingrad que la propagande change son discours passant de celui de « extermination » des juifs à une « guerre totale » contre les juifs (détournant également les motifs et motivations de la 2ème guerre mondiale).
Au lendemain du 11 septembre, les américains continuaient de parler de lutte contre le terrorisme et ce n’est que lors de l’invasion de l’Irak qu’ils ont massivement parlé de « guerre » contre le terrorisme. En France on a longtemps parlé de « lutte » mais depuis l’attaque à Charlie Hebdo l’usage du mot « guerre » s’est systématisé.
Ma réflexion porte sur les circonstances dans lesquelles la militarisation du champ sémantique atteint le stade où le mot « guerre » s’impose envers un problème socio-politico-diplomatique ; par analogie j’ai l’impression que l’expression est systématiquement adoptée quand, paradoxalement, ceux qui l’emploi estiment qu’ils échouent dans le pourquoi de la chose.
En effet, en 1943 les dignitaires Nazi comprennent qu’ils ne vaincront pas les russes et s’inquiètent plus de réquisitionner les trains pour la déportation plutôt que pour une retraite en bon ordre de l’armée. Tandis quand 2003 les militaires américains ont échoués en Afghanistan à attraper Ben Laden et l’essentiel de ses partisans et ne se soucient pas que l’invasion en Irak augmentera la cause terroriste. Et en France, les attentats depuis 2015 mettent un terme à la conviction que le pays, fort de son expérience en lutte anti-terroriste depuis 50 ans, est à l’abri des attentats de masse sur son sol grâce à vigipirate, puis l’état d’urgence, mais reste convaincu que d’autres mesures d’exception vont le protéger.
Ce qui est particulier et similaire dans la question juive et l’anti-terrorisme c’est que, à la différence d’une crise diplomatique où la guerre est un moyen de la résoudre quand la conciliation échoue, le recours sémantique à la « guerre totale » contre les juifs ou la « guerre contre le terrorisme » font suite à un constat d’échec des opérations spéciales (et de nature militaire).
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Très intéressant.
Il y a un élément qui attire mon attention, dans cette histoire du Normandie, et c’est le caractère religieux des éléments identifiés aux Juifs (la synagogue, notamment). On dit souvent que l’originalité de l’antisémitisme contemporain par rapport à l’antijudaïsme d’Ancien Régime est que ce dernier relevait de la discrimination religieuse alors qu’il fut, entre Drumont et Vichy, entièrement racialisé. Il semblerait plutôt que caractérisation religieuse et raciales se soient enchevêtrées de manière complexe. Ça ne serait pas étonnant, puisqu’on constate que les discours les plus largement diffusés sont souvent ceux qui sont malléables, permettant à chacun d’y trouver son compte.
Merci pour ce texte.
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Il faut absolument retrouver ce qu’il est advenu du commissaire de bord, dont on a tu ici le nom !
L’illustration de la couverture de l’opus de Drumont* est hors-propos, une de vos innombrables photos d’archives de rapports, de prospectus publicitaires de la compagnie vantant la cacheroute à bord…
Je crois surtout que la majeure partie des passagers juifs étaient alors des citoyens américains, d’où la standardisation facilitée du rite religieux
*(Re-)lir sa biographie par G. Kauffmann sur la genèse de son texte et de ses commanditaires
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