Aujourd’hui, tout le monde connaît La Chute et la légendaire prestation de Bruno Ganz en Hitler. Pas forcément pour le film lui-même, certes ; mais plusieurs des scènes de grande colère du dictateur ont été maintes fois détournées à coups de sous-titres, lui permettant de s’indigner des problèmes de stationnement dans les rues de Tel-Aviv, de rencontrer Jacquouille la Fripouille, ou encore, récemment, de s’emporter contre les Enfoirés pour leur chanson Toute la vie.
Désormais entrées dans la culture collective, au point que l’acteur lui-même reconnaît en interview trouver cette créativité positive, ces parodies avaient pourtant fait scandale et poussé les producteurs à tout faire pour les faire supprimer. Le personnage d’Adolf Hitler reste en effet un sujet sensible, et s’il peut être cathartique de lui faire dire n’importe quoi, certains continuent à serrer les dents en jugeant qu’il est des sujets sur lesquels on ne peut pas rire.
Mais bien avant les parodies, à sa sortie, La Chute faisait polémique sur des questions bien plus sérieuses. Fallait-il représenter Hitler ainsi ? Le film n’humaniserait-il pas ainsi le Mal ? Tout cela pose un grand nombre de questions auxquelles je vais essayer de répondre.
Hitler rendu sympathique : salutaire ou odieux ?
J’étais en seconde lorsque La Chute est sorti, et je me souviens des scandales provoqués par le simple fait de la diffusion de l’affiche du film dans les rues : le retour du dictateur sur les murs des villes françaises n’était en effet pas du goût de tous. Mais le principal problème était surtout que, dans ce film, Hitler devenait humain. J’avais alors quatorze ans, et j’étais sorti du cinéma avec un sentiment bizarre. Cette plongée de 2h30 au milieu de tous ces nazis me les avait rendus sympathiques, dictateur compris. La première image que le spectateur a d’Hitler est en effet celle d’un homme passablement fatigué, une nuit de 1942, lorsqu’il recrute sa secrétaire, Traudl Junge, à travers les yeux de laquelle nous suivons principalement l’histoire. Homme fatigué, mais surtout diablement humain lorsqu’il invite les candidates au poste à laisser tomber les formalités qui assurent pourtant le culte de la personnalité. Homme même touchant lorsqu’il présente sa chienne Blondi et assure, tel un ado dépité d’aujourd’hui, qu’elle vaut « mieux que la plupart des humains ».

Durant le film, le spectateur reste ainsi, toujours, tiraillé entre plusieurs émotions. L’humain Hitler, qui verse une larme lorsqu’Albert Speer lui apprend qu’il n’a pas suivi certains de ses ordres, qui félicite sa cuisinière en prenant son dernier repas avant son suicide parvient presque à faire oublier le tyran génocidaire qui ressurgit, dans ses colères mégalomanes. Même la vanité de ces crises de folie où il invoque des armées déjà perdues nous ferait presque prendre en pitié l’individu.
En présentant Hitler en humain, touche t-on à un tabou ? Cette vision tranche effectivement avec la plupart des représentations du dictateur, dont on ne garde généralement que les hurlements gutturaux. Bien des documentaires ont également tenté de dresser un portrait humain foncièrement négatif du dictateur, en insistant sur de supposées perversions sexuelles, notamment, et il est rare que l’on se prenne à imaginer un Hitler capable d’amour, voire de compassion pour ses proches.

Pourquoi, en réalité, tenons nous tant à ce que les plus grands criminels de l’histoire, les responsables des pires atrocités, soient, dans leur part intime, des salopards ? Peut-être s’agit-il ici de nous rassurer. En présentant Hitler comme un tordu incapable d’un bon sentiment, il est exclu de la « communauté humaine », devient une sorte d’individu à part, une erreur qui portait le mal par sa nature même. On se prend alors à considérer qu’Hitler ne pouvait être que méchant, à partir de sa naissance même, par essence. Comme dans les films les plus stéréotypés, les méchants deviennent méchants par plaisir de la méchanceté.
S’imaginer un Hitler humain est pourtant une démarche salutaire. Elle revient à comprendre que le mal réside potentiellement en chacun de nous, chose difficilement acceptable. Nous peinons à comprendre que certains directeurs de camps d’extermination aient pu pleurer en écoutant Mendelssohn, mais ne pas ciller en participant à l’extermination de millions d’individus. Mais souhaitons nous, réellement, le comprendre ? Pouvons nous accepter l’idée que la plus grande partie des Nazis n’aient pas eu de troubles mentaux comme excuse, aient simplement été comme nous ? Pouvons-nous accepter de chercher une explication plus complexe que « ils étaient mauvais » ?
C’est en cela que La Chute est un film nécessaire. Présenter Hitler comme un humain, avec d’indéniables qualités humaines, c’est rappeler que nous avons tous en nous le potentiel pour devenir aussi horribles. Que les hommes capables du pire ne l’affichent pas forcément sur leur figure, contrairement aux idées répandues.
La Chute invite donc à se demander pourquoi. Pourquoi ces gens « normaux » ont commis les pires atrocités, de façon anormale. Une fois éliminée l’explication simpliste, il faut alors se pencher sur bien des questions complexes : psychologie de groupe (les expériences de Millgram et de Stanford, notamment, sont très éclairantes à ce sujet), étude du contexte de l’émergence des idées nazies… Bref, de ce qui a fait d’Adolf Hitler… Hitler, et de millions d’Allemands des nazis convaincus.
Ce n’est que par ces moyens et par le refus des explications simplistes qu’il sera possible d’éviter que l’Histoire ne se répète, surtout quand elle en prend tristement la direction.
Trouver des gentils parmi les méchants
La Chute ne présente, fort heureusement, pas pour autant tous les personnages sous un jour totalement positif. L’équilibre me semble en effet très bien trouvé, entre des nazis humainement bons… et pourtant capable de parler de leurs pires actes sans sourciller. On a reproché au film d’être léger sur ce dernier aspect, ce qui est vrai. Si la guerre et les exactions infligées aux traîtres dans Berlin assiégé sont présentées, si Hitler fait plusieurs fois mention de l’extermination des Juifs et de ses idéaux mégalomanes, il n’en reste pas moins que le sujet apparaît comme secondaire. Ce n’est pas gênant dans le cas du dictateur lui-même : toute personne susceptible de voir et comprendre le film a une idée de l’ampleur des actes de Hitler, et sait donc, même sans que le film le lui dise clairement, que l’homme a sur les mains le sang de millions de personnes.
Les choses sont beaucoup plus ambiguës pour la « cour » de nazis qui entoure le tyran dans son bunker, car peu sont explicitement présentés. Généraux, dignitaires, ministres : tous apparaissent sans que l’on sache réellement quelle place ils ont tenue au sein du régime. Simples militaires ? Clés de voûte de certaines atrocités commises ? Médecins de la mort ou soigneurs dévoués ? Si l’on se doute que, pour avoir atteint cette position, tous sont loin d’être des saints, la confusion reste là, et certains personnages éminemment négatifs finissent par devenir (trop) positif. C’est le cas, à mon avis, de Himmler, qui passe pour sensé face à la folie du Führer et qui quitte le bunker trop tôt pour que le spectateur mal informé puisse prendre conscience qu’il a sous les yeux l’un des principaux artisans de la logique génocidaire.

Pourtant, tout cela s’explique assez aisément et logiquement, et le choix des réalisateurs se comprend : La Chute représente les derniers jours d’Hitler, alors que Berlin subit les pilonnages des armées soviétiques et que le Troisième Reich tombe en lambeaux. La machine concentrationnaire est d’ores et déjà en miettes, et l’on se doute qu’il ne s’agissait plus alors, dans l’esprit des hommes réunis sous la chancellerie, que d’un détail mineur face à leur préoccupation centrale : la survie du régime, et, de plus en plus, leur propre survie. Il est donc cohérent que les personnages ne parlent pas de ces atrocités qui, dans ces derniers jours d’avril 1945, n’occupaient pas une place centrale dans leur esprit. Il est en revanche regrettable que la longue litanie de portraits en fin de film se contente de donner noms et destin des différents protagonistes, sans réellement revenir sur leurs responsabilités respectives. La chose aurait été fort instructive, et aurait aussi pu faire passer un message en forme de pied de nez au spectateur : « oui, ce gars, là, qui vous a semblé être un brave type, il avait X000 morts sur la conscience ».
Plus gênante, il faut relever une conséquence du fait même que La Chute est un film, destiné à un large public. Pour que le public adhère, il faut certains personnages positifs. Traudl Junge fait alors figure de choix logique. Jeune secrétaire d’Hitler, elle a fourni un précieux témoignage sur les derniers jours du dictateur. Des images d’une interview de cette personne ouvrent et concluent d’ailleurs le film : elle y explique ne pas avoir eu conscience des horreurs du régime nazi sur le moment, et avoir, par la suite, regretté de ne pas avoir compris. Excuses faciles, pourront penser les plus sceptiques, car il est peu probable qu’une personne aussi proche du dictateur n’ait rien su des génocides et massacres commis au nom du Reich. Cette défense en forme de « nous ne savions pas » a été, de façon plus ou moins crédible, maintes fois utilisée, et souvent par plus responsables qu’une simple secrétaire.
C’est surtout du côté d’autres personnages que le bât blesse. Le médecin SS Ernst-Günther Schenck est ainsi présenté (d’après ses propres mémoires), comme un brave praticien principalement intéressé par la survie des hommes souffrant de l’atrocité des combats. L’homme devient alors profondément sympathique, malgré les maladresses de ses opérations. Cela ne semble cependant pas être l’avis des hommes qui l’ont jugé en 1963 et accusé d’avoir « traité des patients comme des animaux de laboratoire ».

Le cas de Fegelein, beau-frère d’Eva Braun, est encore plus flagrant. Hermann Fegelein était en effet un haut gradé au sein de la SS et avait mené des opérations sur le front russe, en ordonnant à ses troupes de massacrer tous les Juifs rencontrés sur leur chemin. Plusieurs milliers de civils ont ainsi été tués par les hommes sous son commandement. Or, dans le film, Fegelein est présenté comme un officier désireux d’échapper à la ruine du régime, et victime du nazisme. Lorsque Hitler apprend la trahison de Himmler, il décide en effet de faire arrêter Fegelein, qui assurait la liaison entre eux deux. Le SS est arrêté en état d’ivresse, alors qu’il se trouve en galante compagnie, avant d’être fusillé. Loin d’avoir été un tel jouisseur, Fegelein était, lors de son arrestation, en train de rassembler bijoux et documents avant de fuir vers un pays neutre. Le film, en le présentant comme une victime de la folie du régime dans ses derniers jours et de la paranoïa d’Hitler, rend un criminel de guerre sympathique.
L’absolution du tyran
Le point le plus ambigu est néanmoins un aspect du discours du film qui est répété à de nombreuses reprises. Hitler, en de nombreuses occasions, prend sur lui la responsabilité de tous les événements commis durant le Troisième Reich. C’est ainsi que le médecin Ernst-Robert Grawitz est totalement dédouané de ses actes par un Hitler qui lui dit : « Je me porte garant de ce que vous avez fait ». Ce qu’il a fait ? Souffler à Himmler l’idée de l’usage de la chambre à gaz pour exterminer les Juifs, ainsi que toutes sortes d’expérimentations inhumaines en utilisant des prisonniers comme cobayes : résistance au froid, à l’inoculation de certaines maladies… En le dédouanant, Hitler contribue à le rendre plus sympathique, ce qui donne une plus grande charge émotionnelle à la scène suivante, dans laquelle Grawitz, en grand uniforme, fait exploser deux grenades au moment de dîner avec sa famille, les tuant tous sur le coup.
Plus encore que certains dignitaires nazis exonérés à l’écran par le dictateur, c’est le peuple allemand dans son ensemble qu’Hitler absout dans plusieurs tirades dans lesquelles il tend à s’en désolidariser : « Je ne verserai aucune larme sur le sort du peuple allemand. S’il se révélait incapable de survivre à cette épreuve, il n’aurait que ce qu’il mérite. », déclare ainsi le Hitler de La Chute dans une tirade qu’aucune source n’étaye, contrairement à la plupart des scènes du film.
La Chute est un film allemand, et le Troisième Reich a laissé en Allemagne des cicatrices bien plus profondes encore que la collaboration chez nous. S’il nous est relativement possible, dans la plupart des familles françaises, d’oublier que papy était pétainiste jusqu’au bout des ongles avant de crier « vive de Gaulle » en août 1944, pour les Allemands, les choses sont plus difficiles : l’idéologie nazie a été portée par la masse, s’est durablement répandue dans tous les aspects de la vie, et ce qui, chez nous, était une occupation de quatre ans a été, chez eux, un système assumé pendant douze années. Suffisamment pour que des enfants puissent naître et grandir en en étant totalement imbibés.

D’où une culpabilité commune, souvent assez fortement ressentie. La période 1933-1945 a laissé des traces dans les mémoires, et ce genre de film fait aussi partie d’une sorte de travail de deuil. Faire dire à Hitler que le peuple allemand lui importe peu, c’est dédouaner tout ce peuple pour lui permettre de continuer. Sauf que, quels qu’aient été les sentiments d’Hitler à son égard, le peuple allemand a bien contribué à la barbarie nazie. Un homme, ni même l’ensemble des dignitaires nazis, n’auraient pu mettre en place seuls la barbarie qui s’est déchaînée durant cette période.
C’est d’ailleurs là que se trouve tout le paradoxe de La Chute. Hitler est présenté comme un être humain, preuve que le mal est en chacun de nous et que c’est la conjonction de bien des facteurs qui conduit au pire ; mais, d’un autre côté, il est présenté comme unique responsable de tous les événements néfastes de la période. De ce fait, le film passe en partie à côté de la réussite, car il persiste dans l’idée que le nazisme s’attribue à un homme d’exception sans qui les choses n’auraient pas été dégénéré, là où les responsabilités sont immensément multiples.
La Chute est un film nécessaire : reconstitution précise des événements à partir de témoignages et fruit d’un gros travail historique, il réussit son premier objectif : nous rappeler qu’Hitler était un individu comme un autre. Il est dommage que le film pêche par d’autres travers, notamment sa volonté de dédouaner tous ceux qui ont entouré de près ou de loin le dictateur. C’est donc un film à voir, en gardant conscience de ses limites. Ni admiration béate, ni dénigrement outrancier : c’est aussi ça, l’esprit critique.
Pour en savoir plus
Sur les derniers jours d’Adolf Hitler, deux ouvrages cruciaux ont été écrits (outre les témoignages de certains protagonistes). Tous deux ont pour titre Les Derniers Jours de Hitler. Le premier, écrit par Hugh R. Trevor-Roper, publié en 1947 (et récemment réédité par Tallandier dans la collection Texto) est le résultat d’une enquête menée sur le terrain dans l’immédiat après-guerre afin de réunir des éléments prouvant la mort du dictateur, à un moment où les rumeurs de sa survie étaient légion. Au moment de la rédaction, néanmoins, de nombreux éléments manquaient, en particulier du fait qu’une bonne partie des témoins étaient emprisonnés en URSS. Les éditions les plus récentes comportent cependant quelques notes datant des années 1950 et prenant en compte les découvertes de l’époque.

Pour un ouvrage moins daté, le classique des classiques est Les derniers jours de Hitler de Joachim Fest, publié chez Perrin en 2002 et souvent réédité depuis. Les rayons consacrés à la Seconde Guerre mondiale étant généralement bien pourvus, on le trouve assez facilement. Enfin, les lecteurs désirant un aperçu de la vie entière du dictateur pourront s’emparer du massif Hitler de Ian Kershaw.
La Seconde Guerre mondiale étant un sujet particulièrement apprécié des complotistes et autres partisans d’une histoire « alternative » qui tient souvent du charlatanisme, il est dans tous les cas recommandé d’être particulièrement précautionneux sur les sources des ouvrages consultés.
Annexe : qui étaient ils ?
Puisque le film le fait de façon trop peu exhaustive, je me propose ici de reprendre dans le même ordre que dans le générique final les différentes personnes énumérées, en tentant de replacer leurs actions en perspective. Tous ne sont bien entendu pas criminels de guerre, et cette liste permet aussi de faire le tri dans tous ses personnages qui ne sont présentés dans le générique que par leur mort, traités à la même enseigne qu’ils aient été simples témoins ou auteurs des pires atrocités.
- Gerda Christian était secrétaire personnelle d’Hitler depuis 1937 et était également proche de Werner Naumann, ministre de la propagande. Rien n’a été retenue contre elle après la guerre.
- Ernst-Günter Schenck, médecin et officier de la SS déjà mentionné, a été condamné en 1963 pour avoir « traité des humains comme des animaux de laboratoire » dans l’exercice de ses fonctions, contredisant ainsi ses mémoires dans lesquelles il se présentait comme purement intéressé par le sort des soldats dont il avait la charge. Il s’est par la suite reconverti… dans l’industrie pharmaceutique.
- Le général Wilhelm Monhke, qui avait commandé des divisions durant l’invasion de la Pologne, les batailles de Normandie et des Ardennes, puis la défense de Berlin, a été poursuivi après-guerre pour des massacres de prisonniers commis par les soldats sous ses ordres. Les preuves n’ont cependant pas été jugées suffisantes et il a toujours clamé que les troupes n’avaient pas agi ainsi à sa demande.
- Le général Helmuth Weidling avait participé aux campagnes de Pologne, de France, puis de Russie avant d’être chargé de la défense de Berlin. Il tenta à plusieurs reprises d’obtenir d’Hitler l’autorisation de replier ses troupes, sans succès. Arrêté par les Russes, il fut condamné à 25 ans d’emprisonnement pour ne pas avoir capitulé plus tôt, et mourut en prison.
- Werner Haase était médecin personnel du dictateur, ce qui semble être la seule charge retenue par les Russes pour justifier son arrestation. C’est par ailleurs lui qui a fourni à Hitler du cyanure en vue de son suicide.
- Otto Günsche, garde du corps personnel d’Hitler et officier de la SS, avait notamment servi en France et sur le front de l’Est. Si les Soviétiques l’ont condamné à 25 ans d’emprisonnement pour crimes de guerre, il n’a en revanche pas été inquiété lors de son retour en Allemagne de l’Ouest, mais a été appelé à témoigner sur les derniers moments du dictateur.
- L’aviatrice Hanna Reitsch, si elle était une admiratrice fervente du Führer et une nazie convaincue, n’occupait pas de fonction officielle au sein du régime et n’a donc pas été inquiétée pour sa présence dans le bunker. Son témoignage sur les événements qui s’y sont déroulés est par ailleurs assez régulièrement dénigré par l’historien H.R. Trevor-Roper pour son manque de fiabilité et son côté fanatique.
- Robert Ritter von Greim, aviateur qui avait participé à nombre des batailles de la guerre, fut nommé chef de la Luftwaffe en remplacement de Göring lors de son passage éclair dans le bunker avec Hanna Reitsch. Tous deux déclarèrent ensuite qu’il avait été déchirant pour eux de ne pas pouvoir mourir aux côtés de Hitler. Dans son rôle de maréchal et chef de l’armée de l’air, von Greim n’a pas eu le temps d’accomplir grand chose. Comme il le déclara aux Américains qui l’avaient capturé : « je suis le chef de la Luftwaffe, mais il n’y a plus de Luftwaffe ». Apprenant qu’il allait être remis aux Russes, il décida finalement de se suicider.
- Heinz Linge était le majordome d’Hitler et officier de la SS. Sa proximité avec le dictateur rendent son témoignage, publié en 1980, particulièrement important.
- Johannes Hentschel était le mécanicien chargé de l’alimentation électrique du bunker ; s’il est mentionné dans le générique, la plus grande partie de ses scènes ont été coupées. Il est cependant à noter qu’il est l’une des dernières personnes à avoir quitté le bunker, l’alimentation électrique étant nécessaire à l’hôpital de fortune installé à proximité.
- Constanze Manziarly, diététicienne et cuisinière, travaillait pour le dictateur depuis 1943, et a disparu sans laisser de traces après la mort de celui-ci, qu’elle se soit suicidée ou ait été capturée par les Russes.
- Albert Speer est un cas extrêmement particulier. Proche de Hitler, ministre de l’armement et des productions de guerre, il a, de fait, été l’un des piliers du régime et de sa politique. Dans les derniers temps, cependant, Speer a, à plusieurs reprises, désobéi au dictateur. Conscient que la défaite était inéluctable, il a en effet refusé de procéder aux destructions ordonnées sur le sol allemand, espérant ainsi un meilleur sort pour les populations sur le sol allemand. Après-guerre et une fois passés les 20 ans de prison auxquels les procès de Nuremberg l’avaient condamné, il s’est engagé dans l’écriture de nombreux ouvrages de mémoire pour essayer de décrypter ses propres actes, faisant donner la plupart de ses revenus à des organisations caritatives juives. Pourtant, des doutes demeurent : par son rang et sa proximité avec Hitler, Speer pouvait-il réellement ignorer l’existence du génocide comme il l’a déclaré lors de son procès ? Par cette déclaration, il a ainsi permis à bien d’autres Nazis moins bien placés que lui de dire « nous ne savions pas ». Le personnage d’Albert Speer continue donc à susciter bien des interrogations.
- Le sort des généraux Wilhelm Keitel et Alfred Jodl est rapidement évacué dans le générique, se contentant de dire qu’ils furent « condamnés à mort et exécutés ». Ils étaient en effet parmi les plus hauts gradés jugés lors des procès de Nuremberg. Jodl avait joué un rôle dans la déportation des Juifs d’Europe de l’Est, précisant notamment que c’était « les nécessités d’État », et Keitel avait appliqué le célèbre décret « Nuit et brouillard« , sa défense se résumant ensuite à dire qu’il avait simplement suivi les ordres.
- Hermann Göring, maréchal et chef de la Luftwaffe n’apparaît que brièvement : il quitta rapidement le bunker et tenta d’entamer des négociations, pensant être le successeur d’Hitler. Progressivement tombé en disgrâce, il avait auparavant été l’un des hommes forts du régime et avait joué un grand rôle dans la mise en place du génocide. Il s’était également livré à de nombreux pilages, et les anecdotes sur son mode de vie totalement dissolu ne manquent pas. Condamné à mort par les procès de Nuremberg, il se suicide pour échapper à la pendaison.
- Est-il réellement utile de revenir sur le rôle d’Heinrich Himmler, chef absolu de la SS et de la police allemande, notamment de la Gestapo ; homme dont dépendaient les camps de concentration et d’extermination ? Nombre d’historiens sont revenus sur les paradoxes et mystères de celui qu’on qualifie parfois de « meurtrier du siècle ». Le bandeau de fin de film se contente pour sa part de dire qu’il se suicida après avoir été arrêté dans sa fuite.
- Martin Bormann était pour sa part le plus proche conseiller d’Hitler et jouait depuis le début un grand rôle au sein du parti nazi. Durant les derniers jours du Troisième Reich, il se trouvait pris dans un jeu de pouvoir, espérant devenir le successeur du dictateur tout en sachant que sa place ne dépendait que de ce dernier. Après le suicide d’Hitler, Bormann disparut dans les rues de Berlin. Les procès de Nuremberg le condamnèrent donc à mort par contumace. Bien qu’un corps ait été identifié comme étant le sien dans les années 1970, les rumeurs sur sa survie et son départ en URSS ou en Amérique du Sud (si possible avec un trésor nazi conséquent) continuent à circuler, plus ou moins étayées selon les cas.
- Ludwig Stumpfegger était le chirurgien personnel d’Hitler, mais contrairement au docteur Werner Haase mentionné plus haut, il exerça également en camps de concentration, se livrant notamment à des expériences peu ragoûtantes de transplantation de muscles et d’os sur des prisonniers vivants. Tout comme Bormann, il disparut le 2 mai, bien que son corps ait vraisemblablement été retrouvé depuis.
- Rochus Misch était un jeune garde du corps, courrier et télégraphiste au service du dictateur depuis les années 1940. Encore vivant lors de la sortie du film, il s’est montré très critique à son égard, le qualifiant de « drame d’opérette » : il n’avait pas été contacté par l’équipe du film. Ses mémoires ont été publiés en 2008, et il est mort en 2013.
- Concernant Traudl Junge, il est assez difficile de discerner son rôle : comme secrétaire, il reste peu probable qu’elle ait été totalement ignorante des crimes commis par le régime. Il reste cependant clair que les personnages des secrétaires sont, dans toutes la galerie de portraits proposés ici, les plus innocents et dont les plus judicieux pour permettre l’identification du spectateur.
Le générique ne mentionne pas certains personnages morts à l’écran, comme le médecin Ernst-Robert Grawitz dont les expériences barbares (inoculation de maladies, notamment) sont rapidement mentionnées durant le film ou encore les généraux Krebs et Burgdorf, suicidés dans le bunker (le dernier aurait notamment déclaré un magnifique « Quand la guerre sera terminée, nous devrons éliminer, après les Juifs, tous les officiers catholiques de l’armée » qui en dit long sur son adhésion à l’idéologie nazie. Le personnage de Joseph Goebbels, ministre de la propagande et pilier du régime, est en revanche suffisamment présenté par le film pour que le spectateur puisse comprendre aisément son implication.
C’est un article intéressant, qui va me redonner à réfléchir pour longtemps à tout un tas de questions morales assez abyssales. Toujours très content de vous lire ou de vous écouter.
Cependant il y a un petit quelque-chose qui me gêne, c’est l’interview de Ganz mise en lien. Mon allemand est assez approximatif et le type a un accent un peu mollasson qui rend les mots pas très distincts, mais à plusieurs reprises j’ai reconnu des mots ou des bouts de phrases qui ne correspondaient pas du tout aux sous-titres, et la fin est grotesque. Troll volontaire 🙂 ?
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Une bonne trés analyse. Et un article trés bien documenté. Bravo
J’ajouterais que le film est avant tout un film. Il contient évidemment sa part de fiction.
Il est porté par de bons acteurs et même ( ce qui est plus rare) trés bien doublé en français. C’est aussi ça qui doit donner un sentiment de réalisme et donc « d’humanité »… enfin, si nous avions à faire a un débile profond gesticulant et vociférant… on aurait confié le role à Clavier! Et le film aurait été plus drôle et moins polémique c’est certain.
Concernant la polémique, je ne trouve pas si étonnant le refus quasi-général d’admettre qu’Adolf Hitler etait un « humain » car c’est aussi admettre que la guerre est faite par des humains contre des humains, selon les intérets des belligérants… et la pluspart du temps, dans les guerres modernes, contre des civiles.
Sauf erreur de ma part, les aliers n’ont pas combattu à coup de « lance-bisous »… mais en deversant des millons de tonnes de bombes sur la population allemande.
… Mais chuuuut, nous on est « les gentils ».
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Bonjour,
vais-je vite en besogne si on peut établir un parallèle entre ce film et Le dernier roi d’Ecosse?
J’entend sur l’attrait provoqué du charisme, du charme et des bons cotés des « ordures » de l’Histoire?
Merci pour tous ces billets, pour les vidéos (qui à crût que je m’intéresserais à l’histoire du Sénat!) Merci, merci.
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Film à voir et à revoir car, même s’il s’agit d’une reconstitution, il est saisissant de vérités. Les personnages sont tels qu’on les imagine, on pourrait même dire plus vrais que nature, fanatiques jusqu’au bout, prêts à mourir car la mort leur était préférable à une vie sans national-socialisme. Voir l’effrayante et glaciale madame Goebbels, sacrifiant ses 6 enfants. Les acteurs sont formidables, notamment Bruno Ganz qui a dû faire un travail historique et psychologique considérable pour arriver à ce degré de perfection et de pénétration de son personnage, tant dans la gestuelle que dans la voix. La version française du film, où la voix joue un grand rôle, est également une réussite. On peut, peut-être, reprocher à Ganz un excès de tremblements. D’après les documents d’époque, la dernière sortie officielle de Hitler, pour décorer des gamins méritants (la veille ou l’avant-veille de son suicide), le montre moins tremblant que Ganz dans la même scène. Dans le film, on voit deux fois Albert Speer. Je crois que, sur cette courte période, du 20 au 30 avril 1945, il n’a vu qu’une seule fois Hitler. Mais cela n’enlève rien à la qualité du film qui, à sa sortie, avait été critiqué car il « humanisait » Hitler. Je ne crois pas que le film humanise Hitler qui, loin d’être un humaniste est, et on peut le regretter, quand même un humain. Le fait d’aimer son chien, d’être végétarien et d’avoir des moments de complicité (?) avec sa secrétaire, ne font pas de vous un « humaniste » et de lui un homme digne de sympathie. Ce film, ce sont des moments fugaces des dix derniers jours de sa vie, 240 heures racontées en moins de trois heures. Encore heureux qu’avec ses proches, Hitler n’était pas le monstre qu’on connaît, dans l’agressivité permanente et qu’il avait des moments de complicité avec eux. Même un monstre hystérique a besoin de moments de décompression. Un dictateur seul, sans séides, sans amis (?) autour de lui pour le maintenir au pouvoir, ça n’existe pas. Sans un entourage solide et partageant les mêmes vues, un tyran ne peut durer. Les quelques minutes où on le voit avec sa secrétaire, où il se montre « paternel », cela ne veut pas dire qu’il a toujours été bienveillant avec elle. Qu’il a toujours été tendre avec Eva Braun, son paravent pour afficher une normalité et rassurer les Allemandes. Le fait de l’épouser, avant qu’ils ne se donnent la mort ensemble, était-ce par amour ou bien parce qu’il ne voulait pas laisser ce témoin gênant derrière lui qui aurait pu parler? D’ailleurs, dans le film, il n’est pas que « bienveillant ». Des scènes violentes nous le montre dans l’hystérie, condamnant le peuple allemand à sa mort car, si le peuple allemand perd la guerre, il n’a pas le droit de vivre ou de survivre. « Je ne verserai pas une larme sur le sort du peuple allemand, vocifère-t-il. S’il se révélait incapable de survivre, il n’aurait que ce qu’il mérite. Il s’est choisi sont destin en connaissance de cause ». Lui est Goebbels, disent qu’ils ne connaissent pas la compassion, car la compassion n’existe pas dans le règne animal. Si avec ça, certains l’on trouvé « humanisé », qu’on me dise qui, dans l’histoire, est pire qu’Hitler? On a aussi reproché à ce film d’être incomplet. Reproche facile. Comment raconter plus de 400.000 heures d’une vie et surtout la vie de cet homme là? Ce film n’a pas l’ambition de nous apprendre une histoire, que nous connaissons plus ou moins bien, mais de nous plonger dans une ambiance crépusculaire. Il n’est jamais interdit, après un film, d’aller à des lectures plus complètes et plus circonstanciées. Non, le film n’humanise pas Hitler. Un monstre peut avoir des moments de faiblesse et des amitiés, cela ne le rend pas sympathique pour autant. L’essentiel sur l’homme est dit dans ce film et, notamment en ce qui concerne les juifs. Il a été reproché au film de ne pas s’attarder sur la question juive. Ce n’était pas le sujet du film et c’est l’auteur qui décide du sujet qu’il veut traiter. Ce reproche n’est pas tout à fait exact car, à un moment, Hitler dit, je cite de mémoire, que le monde lui sera reconnaissant de l’avoir débarrassé la vermine juive. Tout est dit dans cette phrase. On n’a pas besoin d’énumérer le nombre de morts et le nom des camps d’extermination. Traudl Humps, sa secrétaire, qu’on voit avant et après la projection du film, cherche à expliquer et à s’exonérer d’avoir été sa secrétaire. Je ne crois pas un mot de ce qu’elle dit. D’après elle, elle était une oie blanche, une « petite chose puérile » (sic!) arrivée par hasard à ce poste. Ce poste devait être convoitée par des millions d’Allemandes amoureuses d’Hitler et rêvant de le servir. Traudl Humps a certainement dû passer par un concourt. On n’a pas été la chercher dans son village, elle n’est pas arrivée là par hasard. Dans un régime, comme celui de Hitler, on ne devenait pas la secrétaire du Fuhrer si on n’était pas une fanatique, connue et reconnue, du national-socialisme et cela valait pour toute la famille des candidates. Aussi quand elle nous dit, avec une certaines légèreté, qu’elle est arrivée là par hasard et, que par « curiosité », elle n’avait pas pu dire non, « non, je ne veux pas participer à tout ça » (sic) cela sent le mensonge et laisse entendre qu’elle n’était pas totalement ignorante, une oie blanche, et que dès 1942, elle savait des choses. Que ses parents, qui n’étaient pas nationaux-socialistes, lui aurait déconseillé d’y aller, cela aussi relève du mensonge. Cela avait dû être une très grande fierté pour elle et pour toute la famille d’avoir été l’Elue. Il aurait été tellement plus simple de dire la vérité. On n’est pas la pour la juger, ce temps est passé, mais pour comprendre. A sa place, j’aurais dit: « 50-60 ans après, je ne peux toujours pas comprendre et expliquer notre fanatisme et, notamment, le mien. On était tous dans la fascination de Hitler et c’était une grande fierté pour moi, et pour ma famille, d’avoir été choisie parmi des milliers de candidates, pour être la secrétaire de notre Fuhrer. Ma seule excuse, c’est que cela remonte à novembre 1942. A cette date, nous ne savions que ce que la propagande officielle nous permettait d’apprendre, les victoires de nos armées partout, nos soldats magnifiques repoussant les ennemis de la patrie qui nous voulaient du mal. Nous étions fiers de ce que nous étions devenus. Grâce à Hitler, nous avions retrouvé notre place après des décennies d’humiliations, de crises, de chômage, de misères et de famines. Une fois à l’intérieur du système, en tant que secrétaire, oui, je savais tout, ou presque tout, et j’ai découvert ce que je ne savais pas avant, toute l’horreur et la noirceur du régime nazi: les camps d’extermination, les SS, les pays occupés avec les famines qui décimaient les peuples, les mensonges, l’hystérie de nos chefs, la lâcheté de nos généraux qui n’osaient pas contredire Hitler alors comment voulez-vous que moi, secrétaire, je me dresse contre lui pour lui dire je démissionne, je ne suis pas d’accord avec tous vos mensonges, je ne veux plus travailler avec… sans m’exposer à des sanctions, voire à la mort. J’aurais dit, à ceux qui m’interrogeaient, que de novembre 1942 à avril-mai 1945, ma vie avait été un calvaire mais que je ne pouvais pas, plus, sortir en rompant mon engagement. On ne quittait pas Hitler impunément . » Voilà ce que j’aurais dit. Ce n’est pas ce que la secrétaire a dit. Ce qui veut dire qu’elle était plus ou moins en phase avec le régime qu’elle a servi et où elle a trouvé des avantages. La seule excuse qu’elle trouve, et qu’elle met en avant, c’est la jeunesse, la sienne, elle avait 22 ans en 1942, en disant, pour démontrer sa bonne foi, que, elle ne savait rien, qu’elle a tout découvert après la défaite. Difficilement crédible. Enfin, à ceux qui reproche à ce film d’être incomplet, c’est-à-dire pas le film qu’ils auraient aimé voir, je leur dit: faites votre propre film! Vous ne serez pas déçus.
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Les individus me semblent faire le mal, moins par méchanceté que par ignorance. Au travers de la paresse, plus que des efforts.
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